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"Seule, face au destin" - ou l'enfance en danger

Publié le 17 mai 2015 par Joss Doszen

« Au début, je n’arrivais pas à voler de l’argent à la maison car ce n’était pas dans mes habitudes, je ramenais alors mes figures géométriques pour le travail manuel et le prof Mutombo ne se lassait pas de me fouetter les fesses. Mais depuis un moment, je n’en pouvais plus. J’avais du mal à m’asseoir, à dormir sur le dos, je devais sauver la peau de mes fesses. Alors, je m’étais mise à voler. »

Seule, face au destin - Laura Guliamo Luyeye

Il est des sujets, pour les écrivains, devenus assez casse-gueule de par le simple fait que d’autres s’y soient collés avant. Evidemment, comme le dit le banal, « rien de nouveau sous le soleil ». Les auteurs écrivent et réécrivent toujours la même chose ; ils relatent la vie. Donc, même le summum de l’originalité n’a d’originale que les mots différents qui sont utilisés. L’histoire, le conte en lui-même a déjà, mainte fois été raconté.

En entamant ce « Seule face au destin » de l’auteure congolaise Laura Guliamo Luyeye je n’ai pu m’empêcher de penser à « L’hibiscus Pourpre » de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. L’auteure se met, dans ce court récit, dans les pas de Dita, 6 ans, qui subit la violence d’un père alcoolique et assiste, impuissante, à la maltraitance dont est l’objet sa mère. On ne peut s’empêcher, je l’ai dit, de penser au personnage de Kambili, en beaucoup plus jeune.

« – Vas-tu m’ouvrir cette porte ou je la défonce ? cria soudain une voix forte, roque et furieuse. C’était la voix de papa, cette voix roque, il l’avait, quand il était saoul.
Mauvais signe ! Ça craignait ! La soirée s’annonçait mal. Les battements de mon cœur s’accélèrent. J’étais terrorisée… J’avais envie de crier « À l’aide ! », comme si les méchants nous attaquaient.
Le retour du travail d’un père était un moment tant attendu. Un moment de joie, où les enfants accouraient vers leur papa en criant de joie. Ce dernier les prenait alors dans ses bras, à tour de rôle, les lançait en haut, les rattrapait ensuite, puis les posait par terre. »

Cependant, Laura Guliamo ne s’arrête pas à ce huis-clos familiale. Les très courts chapitres qui se succèdent traitent en fait de nombreux sujets différents : de la violence dans ces écoles d’Afrique où règne la gabegie et l’absence de pédagogie, l’incurie des professeurs qui poussent se font arnaqueurs des gamins qu’ils sont sensés protéger et éduquer. E livre nous rappelle combien il est difficile pour un enfant de suivre une scolarité normale, dans des pays qui partent à vau-l’eau, dont les systèmes éducatifs ont périclité doucement sans que personne ne songe que l’avenir des enfants était en pleine hypothèque. Le pire, peut-être, dans cette rapide lecture, c’est que les faits relatés sur cette monstruosité qu’est devenu l’école publique dans les deux Congo, font échos dans mes souvenirs et, j’en suis convaincu, dans les mémoires de nombreux de congolais. L’école, depuis la Primaire, est devenue un lieu de violence, de corruption et de stupre. Pourquoi s’étonner alors de la mouise dans laquelle se trouve ses deux pays ?

« À la maison, soit tu jouais à la fille sage pour demander une récompense après. Soit tu volais… Et par malchance, si tu n’avais pas réussi à avoir de l’argent à la maison, tu devais jouer ta dernière carte : voler l’argent de tes amies en classe sans te faire prendre.
C’était une corvée.
Ça demandait de la souplesse, de la sagesse, de la tactique, de l’habileté…
Du haut de mes 10 ans, j’avais trop à faire, trop à supporter. Je réfléchissais beaucoup…
Des fois, je ne savais plus qui j’étais, où j’étais et ce que je faisais… C’était carrément le néant.
Je marchais dos courbé, tête baissée. Qui sait ? Je pouvais aussi ramasser de l’argent !
Quand j’étais à l’école, je pensais déjà à la maison. Comment j’allais m’y prendre pour voler. »

Si le sujet est réellement d’importance, le roman souffre, évidemment, de sa brièveté. L’auteure embrasse de nombreux sujets et, me semble-t-il, les survolent trop. Chacun des aspects de cette violence que subissent les enfants aurait mérité une plus grande introspection, une analyse plus profonde.
L’autre, grand, bémol que je mettrai à ce roman concerne l’écriture. L’auteure nous met dans les mots d’une gamine de six ans qui, justement, n’est pas assez enfant dans ses mots. La petite Dita a parfois un vocabulaire, des réflexions qui, de toute évidence, ne peuvent pas être de son âge. Bien que la langue soit simple, voir simpliste, elle ne sied pas à une enfant que l’auteure a voulu si jeune.

Ce livre, que j’invite à découvrir, vaut donc pour le portrait social qu’il brosse, pour ce rappel des violences, physiques, verbales et morales que subissent les enfants aussi bien dans leur sein familial que dans l’environnement scolaire. Et, rien que pour avoir soulevé ses lièvres, lire « Seule, face au destin » est un must read.


Seule, face au destin Laura Guliamo Luyeye Edition EDILIVRE

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