Une espèce de sursaut citoyen en somme, que nous imaginions assez populaire pour nous en réjouir, mais qu’Emmanuel Todd décide à toute force de délégitimer car, selon lui, ce «Je suis Charlie» témoigne «d’une volonté de masse où émane d’une pure logique médiatique, (et) fut, au cœur de notre société postindustrielle, une manifestation emblématique de fausse conscience». Comment s’accorder avec ces mots qui nous heurtent de plein fouet, même si nous savions que cette émotion hors norme et collectivement partagée face à l’horreur des crimes commis n’était sans doute pas un moment d’euphorie transcendantal mais instantané, fugace, et destiné à ne pas survivre. Derrière quelques saillies de polémiste et des propos d’une virulence qui nuisent à ses intuitions (sincères) comme à ses démonstrations (réelles), Emmanuel Todd va beaucoup plus loin: pour lui le 11 janvier n’est qu’une «imposture», une «hystérie collective» et un «happening européiste». Comme lui, avons-nous vu une foule de « zombies » islamophobes à l’inconscient «vichyssois», autrement dit non pas une France de l’égalité et de la fraternité mais celle, sournoise et revancharde, de l’inégalité et des préjugés sociaux et racistes? L’affaire, en tant qu’instant potentiel de notre Histoire, est sérieuse.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 15 mai 2015.]