« The capitalism of heirs » is the name of a short new book written by a French economist teaching in New York University. He shows how French salaried employee is less happy to work than the others in the developed world. Why that? Because social relationships are in all France very bad. As in Catholic countries, France is hierarchical, heir-leaded, and fond of social status. At school, in administration, in firms, human relations are not cooperation oriented but mistrustful. What was tolerable during the big growth of the 60s is no more endurable today with the level of unemployment and the need to innovate by initiative.
Thierry Philippon est l’un de ces économistes français qui sont brillants parce qu’ils ont su à tend prendre la tangente. Comme Olivier Blanchard, Bernard Salanié, Philippe Aghion et bien d’autres de gauche et de droite, il enseigne aux Etats-Unis, où il trouve un milieu stimulant et des moyens de recherche de niveau international. Et cela malgré une formation française initiale plus diversifiée, à condition d’être effectuée hors de l’université. On ne peut analyser son propre pays qu’avec un regard extérieur. Et, parce qu’il y a encore de bons éditeurs d’idées en France, Thierry Philippon nous livre au Seuil, dans la collection « République des idées », une analyse sans jargon du pourquoi il y a crise proprement française du travail.
« Ce qui distingue nettement la France des autres pays, c’est le peu de satisfaction que les salariés semblent tire de leur travail, et la mauvaise opinion qu’employés et employeurs ont les uns des autres. Les difficultés du capitalisme français reflètent ainsi celles de la société en général : on remarque partout la même incapacité à faire émerger des organisations puissantes où les relations sociales se fondent sur une confiance réciproque. » p.8
Il n’y a pas crise de la « valeur travail » en France, relativement aux autres pays, comme le montrent les enquêtes. 70% des Français estiment même qu’un parcours des plus enrichissants consiste à créer son entreprise. Le marché du travail, très régulé en France, n’explique pas tout. Une étude montre qu’ « un peu plus d’1/8ème des variations de taux de chômage entre les pays et un peu moins d’1/3 des variations de taux d’emploi » sont explicables par des variables institutionnelles. L’exception française – car il y en a une ! – réside dans l’incapacité à travailler ensemble : « la France est le pays développé où les relations de travail sont les plus mauvaises, à la fois du point de vue des dirigeants d’entreprises et du point de vue des employés. » 20 C’est pareil, et même pire, pour les entreprises d’Etat ou pour l’Administration ! « Dès qu’un professeur devient proviseur, il passe dans le camp ennemi. Au lieu de dire ‘c’est un des nôtres qui a réussi, on sera peut-être mieux compris’, ils sont méfiants car ils pensent qu’il est passé de l’autre côté de la barrière. » (Michelle Lamont citée p.24)
L’histoire patronale a trouvé jadis dans le paternalisme une façon de contourner les conflits, ce pour quoi les entreprises familiales, et surtout les PME, fonctionnent moins mal en France que les autres. Le management moderne « à la française » n’a rien trouvé de mieux que de reproduire dans les grandes entreprises ce qui fait le propre de la hiérarchie sociale elle aussi « à la française » : la neutralité aseptisée et la minutie bureaucratique. Paternalisme comme bureaucratie adorent la « distance » entre les gens.
Les nationalisations idéologiques des années 1980 ont aggravé la situation en perpétuant le phénomène bureaucratique qui a joué un rôle déterminant dans les mauvaises relations de travail en France. Il y aurait tout un livre à écrire sur l’inertie conservatrice des conceptions de gauche en France (élite « alternative », la gauche a toujours une génération de retard au moins dans les habitus de la « civilisation des mœurs »). « En Allemagne et aux Etats-Unis, deux pays où la confiance entre managers et employés est plutôt bonne, l’organisation de l’entreprise est choisie selon des critères économiques. En France et en Italie, l’organisation de l’entreprise est choisie pour protéger les individus les uns des autres. Cela suppose une définition minutieuse des tâches et des statuts, de manière à ce que chacun puisse se soustraire à l’arbitraire de l’autre. » 43 Travail d’équipe et convivialité ne sont jamais au programme des entreprises française, non plus que des administrations. Ce pourquoi souplesse et innovation ne font pas partie du dictionnaire français : « une entreprise où la promotion interne est juste et efficace et où l’initiative est encouragée, peut multiplier les talents. A l’inverse, une entreprise mal gérée peut transformer des individus ouverts et entreprenants en petits bureaucrates mesquins et craintifs. » 76 J’ai connu plusieurs banques où ce modèle s’applique…
L’histoire des salariés a créé (fort tard) des syndicats dont la revendication révolutionnaire attire d’autant moins qu’elle est obsolète. Plus le développement syndical été tardif, plus la confiance dans les relations de travail est aujourd’hui faible. Pour « forcer » leur existence, l’Administration n’a rien trouvé de mieux que de soviétiser leur institution : en désignant elle-même par décret ceux qui sont dits « représentatifs », quel que puisse être le résultat des élections par les salariés eux-mêmes. « La reconnaissance institutionnelle dont bénéficient les syndicats français est moins le fruit de leur représentativité sociale que de décisions politiques prises il y a 50 ans. » 10
Rappelons-le, « le capitalisme » est un outil, pas une idéologie (c’est « le libéralisme » qui en est une). Cet outil d’efficacité économique est utilisé par chaque société selon ses propres valeurs et habitudes. La France, formée intellectuellement par le droit Romain et par l’Eglise catholique, a une nette préférence pour l’héritage, la hiérarchie et les statuts. Thierry Philippon appelle « capitalisme d’héritier » cette variante française qui tend « à privilégier l’héritage, qu’il soit direct (sous la forme de la transmission successorale) ou sociologique (sous la forme de la reproduction sociale par le diplôme et le statut). » 9
« Les relations sociales ont toujours été mauvaises en France, mais leurs conséquences néfastes ont été masquées par le taux de croissance extraordinaire lors du rattrapage économique des années 1950 et 1960. » 77 « L’absence de coopération au sein des entreprises crée des rigidités réelles au moins aussi coûteuses que les rigidités législatives souvent décriées. » 79 La grève entretient le chômage et la peur du conflit entretient la mauvaise habitude de la « communication de crise ». Or, « la troisième révolution industrielle, avec l’importance accrue du capital humain qui la caractérise, a rendu la coopération au sein des entreprises plus cruciale que jamais. » 82 Oui, le « modèle social français » est bel et bien inadapté au monde moderne et globalisé !
Visage entouré : Zidane enfant
« Que faire ? » est, paraphrasant Lénine, l’objet du chapitre 5. Une politique industrielle cohérente, selon l’auteur, devrait passer par :
1. Une réforme des droits de succession qui ne devrait pas encourager les transmissions familiales mais être neutre.
2. Financer les PME par la bourse, et en finir avec le « grand méchant marché » en insistant sur la transparence et sur la responsabilité des investisseurs.
3. Rénover les syndicats en faisant de l’élection le seul critère de représentativité, en incluant parmi les votants les chômeurs et en ne concluant aucune négociation sans règles de révision.
4. Réformer l’Etat : déjà « balayer devant sa porte ! » 101 Améliorer la promotion interne, décentraliser la prise de décision, réduire les niveaux hiérarchiques – comme Christian Blanc l’a réussi pour la RATP.
5. Encourager l’esprit critique des medias en contrepouvoir. Les medias sont des garde-fous puissants contre les abus des dirigeants et l’on « peut par exemple douter de l’empressement d’un journal à mener une enquête sur un possible délit d’initiés si celui-ci met en cause un de ses principaux dirigeants. » 104 Les medias peuvent aussi corriger la bêtise ambiante, les affirmations scandalisées des corporatistes par exemple qui, à la SNCF, dénoncent « la course à la productivité » alors que la productivité est justement ce qui permet le progrès technique, le progrès du pouvoir d’achat et l’élévation du niveau de vie de tous à long terme.
6. Le système d’éducation d’une société reflète le système social. Dès lors, l’enseignement « à la française », qui privilégie le cours ex-cathedra sur une estrade, avec apprentissage servile des manuels, ne prépare nullement à coopérer, à écouter, à argumenter et à décider ensemble…
Les défauts des entreprises françaises sont les défauts des habitudes sociales françaises. Ce pourquoi « les Français qui travaillent dans des entreprises étrangères sont plus satisfaits que ceux qui travaillent dans des entreprises françaises. » 109
Thomas Philippon, Le capitalisme d’héritiers, la crise française du travail, Seuil, collection République des Idées, mars 2007, 112 pages.