Librairie : En finir avec Eddy Bellegueule (Edouard Louis)

Publié le 15 mai 2015 par Mystika @Mystikate

Edouard LOUIS, En finir avec Eddy Bellegueule. Editions du Seuil.

Edouard Louis a publié ce roman en 2014, à l’âge de 21 ans. Je l’ai découvert à La Grande Librairie, ce jeune homme réservé dont on lisait la souffrance antérieure, voire actuelle, me mettait mal à l’aise. J’avais envie de lire ce livre, mais je sentais que ce serait un livre dur. C’en est un.

En voici l’incipit, très éloquent :

Rencontre

De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaitre.

Dans le couloir sont apparus deux garçons, le premier, grand, aux cheveux roux, et l’autre, petit, au dos voûté. Le grand aux cheveux roux a craché Prends ça dans ta gueule.

Le crachat s’est écoulé lentement sur mon visage, jaune et épais, comme ces glaires sonores qui obstruent la gorge des personnes âgées ou des gens malades, à l’odeur forte et nauséabonde. Les rires aigus, stridents, des deux garçons Regarde il en a plein la gueule ce fils de pute. 

Je ne poursuivrai pas davantage cet incipit, mais sachez que les brimades n’en sont qu’à leurs débuts. Les descriptions sont crues, mais elles évoquent sans fards les persécutions que le narrateur a subies. Pourquoi suscitait-il le dégoût ? Parce qu’il était doux et sensible, presque féminin, rien à voir avec les brutes épaisses, exemples de « force virile » qui l’entouraient :

  Très vite j’ai brisé les espoirs et les rêves de mon père. Dès les premiers mois de ma vie le problème a été diagnostiqué. Il semblerait que je sois né ainsi, personne n’a jamais compris l’origine, la genèse, d’où venait cette force inconnue qui s’était emparée de moi à la naissance, qui me faisait prisonnier de mon propre corps. Quand j’ai commencé à m’exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des intonations féminines. Elle était plus aiguë que celle des autres garçons. Chaque fois que je prenais la parole mes mains s’agitaient frénétiquement, dans tous les sens, se tordaient, brassaient l’air.

Mes parents appelaient ça des airs, ils me disaient Arrête avec tes airs. Ils s’interrogeaient Pourquoi Eddy il se comporte comme une gonzesse. Ils m’enjoignaient : Calme-toi, tu peux pas arrêter avec tes grands gestes de folle.

J’ai lu ce livre d’une traite, avec une sensation de malaise, mais c’est un livre que je conseille.

Je vous laisse avec l’excellent article que Fanny avait rédigé sur son blog La tête dans la bibliothèque.

Voir aussi:

Revue littéraire : Chemins de Michèle LesbreLe vendredi c'est librairie : La gaieté de Justine LévyLe vendredi c'est librairie : Tempête de J.M.G. Le Clézio