Par Bernard Vassor
A la salle des fêtes de la Maison du peuple de Bruxelles en 1904. Pour les Belges, il est clair que l'auteur de la musique est bien Pierre.
Au mois de juin 1871, Paris retentit encore du bruit des fusillades versaillaises de la semaine sanglante. Dans une maison au sixième sous les toits, un homme cherchant à échapper au massacres, se cache en attendant de se réfugier en Angleterre, puis en Amérique. Cet homme, c'est Eugène Pottier, un poète-ouvrier qui avait été élu délégué du deuxième arrondissement le 26 mars 1871 par la Commune de Paris (pour faire simple). L'histoire est bien connue, dans cette mansarde, Eugène Pottier compose un poème intitulé "L’internationale". Il faudra attendre 25 ans pour que Henri Rochefort le publie dans un recueil de chants révolutionnaires en 1887, et que un an plus tard, une section lilloise du parti de Jules Guesde, le Parti ouvrier français qui avait fondé une chorale qui avait pour nom "La lyre des Travailleurs"; Elle était dirigée par un de ses fondateurs qui se nomme Gustave Dolory (qui sera plus tard maire de Lille) possédait "Les chants révolutionnaire" édités par Rochefort. Pour aider Eugène Pottier qui vivait dans le plus grand dénuement, Delory fit demander à un musicien immigré Belge, de composer une musique sur les six couplets du poème. Le compositeur, pour échapper à des poursuites policières, la répression patronale impitoyable fit qu'il ne signa QUE de son patronyme, sans mentionner son prénom. Ce qui sera lourd de conséquences par la suite. La chanson et la musiques sont jouées dans un café-chantant "La Liberté" rue de la Vignette à Lille lors d'une fête organisée par la Chambre syndicale des marchands de journaux. Très rapidement de délégations ouvrières en réunions, la chanson "locale" se transmet de régions en régions, traversant la frontière elle est chantée dans la ville natale de Pierre Degeyter à Gand (Belgique) . La chanson fut publiée chez Boloduc à Lille et tirée à 6000 exemplaires. au Congrès général des organisations socialistes française de 1899, la chanson est entonnée par un militant, et ensuite reprise par toute la salle. Elle devint par la suite l'hymne du socialisme français.
JEAN BAPTISTE CLÉMENTÉDITEUR DE
L’INTERNATIONALE !
On ne le sait pas forcément, mais, il existe beaucoup de points communs entre Pottier et Clément. Comme nous l'avons vu dans un article précédent, Jean Baptiste s'est beaucoup inspiré de Henri Murger, au point de baptiser un de ses recueils "Les Murgerette". Nous savons que Murger fut dans sa jeunesse "l'élève" d'Eugène Pottier de quatre ans son aîné. C'est lui qui le conduisit dans les goguettes de Paris et qui l'initia à la poésie. Remarquons au passage que ces trois homme sont encore lu, joué et représentés aujourd'hui dans le monde entier.
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En mai 1901, Jean Baptiste Clément qui avait acheté les droits à la veuve de Pottier ( sous seing-privé le 5 février 1901), Pottier qui est mort le 6 novembre 1877 à l'hôpital Lariboisière, et, dans le but récupérer les droits de la chanson, parole et musique au bénéfice de la veuve et du compositeur Degeyter. Un éditeur de musique Belge du nom de Mae indiquait en première page "Reproduction interdite". Clément prit la plume pour s'adresser à Gustave Dolory qui était à l'origine de la publication de la musique pour lui demander l'adresse de Degeyter. Le compositeur n'a toujours pas de prénom. Pierre a quitté Lille pour s'installer à Saint-Denis.
Le 21 mai 1901, Clément relance Delory devenu maire de Lille avant d'être élu député. Faisant état de ses démarches et indiquant ses motivations. Sa lettre est restée sans réponse. A force d'insistance, la maire annonce que l'imprimerie de la rue de Fives conserve les droits d'éditer l'Internationale dont l'auteur est Adolphe Degeyter !!! Sa réponse est datée du 7 juin, le 6 juin, Adolphe Degeyter avait cédé les droits d'auteur à Delory et au Parti socialiste. Delory enjoindra aux imprimeurs d'ajouter le prénom d'Adophe à toutes les publications. Sur ce Jean Baptiste meurt en 1904. Pierre Degeyter qui avait eu vent de ces tractations se rendit rue Lepic chez la veuve Clément et apprend que son oeuvre a été attribuée à Adolphe son frère par les bons soins du populaire maire de Lille. L'auteur dépossédé produit alors le manuscrit à madame Clément qui le transmet à l'ancien directeur de la monnaie pendant la Commune de Paris, trésorier du Parti socialiste. Vont suivre de multiples rebondissements de procès interminables et vont se dérouler de 1904 à 1922 dans un jugement incontestable et définitif, la paternité de l'oeuvre est reconnue comme étant celle de Pierre Degeyter.
Entre-temps, Adolphe le frère de Pierre qui avait signé un papier qui lui avait été dicté par Delory, écrivit avant de se donner la mort une dernière lettre à son frère le 27 avril 1915.
Cher frère,
dans la terrible tourmente que nous traversons, ne sachant comment cela finira, je remet à ton beau-frère Dubart cette déclaration que j'aurai faite moi-même si j'étais venu à Paris au moment de ton appel.
Voici : je n'ai jamais fait de musique, encore moins l’Internationale. Si j'ai signé une feuille, c'est qu'elle avait été préparée par Delory qui est venu me trouver à l'atelier. Comme tu sais, je travaillais pour la ville, et Delory étant maire, je n'osais rien lui refuser par crainte de renvoi. Je n'ai pas cru tant mal faire en signant ce papier, et encore il ne m'a pas dit pourquoi c'était faire (...)
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Pierre Degeyter d'après un journal soviétique de 1832.