Grace and Frankie est une nouvelle comédie de 13 épisodes qui a été mise en ligne sur Netflix à partir du 8 mai. On y suit justement ces mêmes femmes, respectivement incarnées par Jane Fonda et Lily Tomlin, dans la septantaine qui s’apprécient peu, mais se côtoient régulièrement puisque leurs maris Robert (Martin Sheen) et Sol (Sam Waterson) gèrent ensemble une firme d’avocats spécialistes en divorce. Lors d’un dîner à quatre, ces deux messieurs leur apprennent que depuis plus de 20 ans, ils sont amoureux l’un de l’autre et qu’ils veulent désormais vivre leur passion au grand jour. Dès lors, la remise en question des épouses esseulées se met en branle. Du côté de la télévision, HAPPYish est une nouvelle série de 10 épisodes diffusée depuis la fin avril sur les ondes de Showtime aux États-Unis et en exclusivité sur CraveTV au Canada. Ici, on a droit à une véritable crise de la quarantaine de la part de Thom (Steve Coogan), à la différence qu’il ne remet pas en question son couple, mais bien son travail depuis que la boîte de publicité où il travaille a engagé deux nouveaux patrons : des Suédois dans la vingtaine qui n’en ont que pour les médias sociaux. Ces deux séries printanières mettent en scène des protagonistes qui peinent à jongler avec le changement. Entre affaissement pur et simple et des crises de nerfs épiques, ni chez Netflix, ni chez Showcase on ne parvient à trouver le bon ton, pas plus que les téléspectateurs.
Grace and Frankie : et après?
Grace et Frankie sont aux antipodes, c’est le moins que l’on puisse dire. La première est une femme pincée et à cheval sur les conventions. Le couple a deux filles; Mallory (Brooklyn Decker), une mère de famille à temps plein et Brianna (June Diane Raphael) qui a repris les rênes de l’entreprise de cosmétiques fondée par sa mère. Frankie est une hippie dans l’âme qui passe ses journées à trouver de nouveaux moyens de se ressourcer et est mère aussi d’un fils, Coyote (Ethan Ambry), ex-toxicomane et professeur suppléant. Évidemment, les deux femmes digèrent très mal la nouvelle et se retrouvent par hasard à la maison d’été que Robert et Sol avaient achetée. Le malheur cherchant la compagnie, elles tentent ensemble d’aller de l’avant, mais sans succès, du moins, après les trois premiers épisodes. Elles font d’abord face à toutes les procédures (pénibles) entourant le divorce, puis elles songent ensuite à retourner dans le monde du travail, mais Brianna n’est pas prête à céder son poste de directrice à sa mère et Frankie, qui croit passer une entrevue pour enseigner les arts dans une maison de retraite, réalise que le préposé lui faisait plutôt un tour des lieux, croyant qu’elle voulait s’y installer!
La prémisse de Grance and Frankie suscite assurément la curiosité, mais le vrai défi est de savoir ce qui se passe après; ce que nous n’arrivons pas encore à élucider, pas plus que les scénaristes dans les premiers épisodes d’ailleurs. Certes, on pourrait dire que c’est à l’image des protagonistes qui n’ont plus tout à fait la vie devant elles, mais la série de Netflix ne nous offre pas vraiment une réflexion sérieuse sur le sujet comme a pu le faire sa concurrente Transparent sur Amazon. Comédie dramatique : on ne sait trop jusqu’ici vers quel genre la série penchera. Comme si on avait peur d’aller trop loin alors que tirer quelques larmes des téléspectateurs ne serait pas de trop, on tente de dédramatiser la situation avec des blagues qui pour la plupart tombent à plat. Puis, il y a ce moment dans le premier épisode où l’on voit Grace devant son miroir enlever ses faux cils et ses rallonges. L’effet « tombe le masque » aurait été puissant n’eût été du fait qu’une scène similaire nous a été présentée cet automne dans How to Get Away With Murder sur ABC (le résultat des célèbres « algorithmes » Netflix?) Quant à Sol et Robert, même des acteurs de talent tels Sheen et Waterson, peinent à nous convaincre qu’ils forment un couple.
HAPPYish : à la recherche du bonheur à temps partiel
En fait, la série nous offre une réflexion sur la société dans laquelle on vit, du point de vue de Thom Payne (le nom de famille n’est pas anodin) qui bien que seulement dans la quarantaine, se sent déjà dépassé et en a manifestement contre la terre entière, sauf peut-être de son épouse Lee (Kathryn Hahn) et leur fils Julius (Sawyer Shipman). Dans le premier épisode, il s’en prend aux médias sociaux responsables selon lui de la médiocrité de la société : « Thinking is not as important as tweeting ». Selon lui, ces innovations conduisent au superficiel et renforce l’importance du paraître dans une société de consommation. Lee de son côté, apprend qu’une amie a subi une chirurgie d’étrécissement du vagin et s’inquiète que le sien soit trop… lousse et songe sérieusement à faire de même. Dans l’épisode suivant, Thom fait tout un drame du fait qu’on ait enlevé le sofa de son bureau, comme si on portait atteinte à virilité. Pendant ce temps, Lee est furieuse que sa mère vivant à Israël ait envoyé un cadeau d’anniversaire à Julius. C’est que les deux femmes se détestent « amicalement » et finalement, le cadeau ne sera jamais déballé et retourné à son expéditeur. La semaine suivante, c’est Julius qui est malade et Thom est persuadé que son fils va mourir… en fait, il n’a probablement qu’une grippe.
Plusieurs éléments dérangent avec HAPPYish à commencer par ce discours sur les changements à cause (ou non) des réseaux sociaux. Sur ce point, le train est déjà passé et la série qui doit avoir au moins cinq ans de retard ne nous apprend plus grand-chose. De plus, Thom et Lee sont dans la quarantaine et à les entendre, ils en ont 80 tellement ils semblent dépassés par les événements et ce qu’il y a de plus irritant, c’est que ce couple qui a tout pour être heureux (relations solides, enfant, maison de banlieue, etc.) ne fait que se plaindre. On peine justement à comprendre leur hargne qui s’exprime par un nombre impressionnant de « fuck » (« Fuck Mad Men », « Don’t fuck with my fucking bubble » et même : « fuck you God ») et des analogies douteuses (« Corporate america is just like german porn ») qui ne font rien d’autre que de nous irriter à la longue. Thom déplore par-dessus tout le côté narcissique des jeunes alors qu’il est assurément pire qu’eux à ce sujet et avec la verve qu’on lui connaît maintenant, on se demande comment se fait-il qu’il n’ait pas encore été viré ou plus logiquement, qu’il n’ait pas démissionné, lui qui a tôt fait d’affirmer : « I work for Satan. »
Les téléspectateurs eux au moins ont démissionné puisqu’ils étaient 1,57 million pour la première d’HAPPYish et que la semaine suivante, il ne restait plus que 240 000 fidèles. Pour le troisième épisode, la glissade continue avec 210 000. Ne comptons donc pas sur un succès à long terme. Quant à Grace and Frankie, la réalité rejoint malheureusement la fiction. C’est qu’on a appris peu de temps après le lancement de la série que Sam Waterson et Martin Sheen ont touché le même salaire que Fonda et Tomlin, bien que ceux-ci campent des personnages somme toute secondaires. Considérant les dénonciations de sexisme qui se multiplient depuis des mois à Hollywood, disons que la nouvelle fiction de Netflix est d’un réalisme… déconcertant.