J'ai oublié ce roman dans ma bibliothèque pendant des années. Je l'avais acheté quand j'étais en classe de troisième (!) parce qu'il était conseillé dans un magazine mais je l'avais ensuite complètement délaissé. Sans grande conviction, je me suis finalement décidée à lui laisser sa chance... et heureusement ! Quelle claque !
Danseur, c'est la biographie du danseur tatar Rudolf Noureev romancée par l'auteur irlandais Colum McCann. Rudolf Noureev est né le 17 mars 1938 à Irkoutsk et est mort le 6 Janvier 1993 à Levallois-Perret. Danseur de ballets puis chorégraphe, Rudik a donné sa vie à la danse ; et c'est cette vie foisonnante d'exubérance et d'amour que nous raconte Colum McCann dans Danseur. On le suit de son enfance jusqu'à ses vieux jours, on le voit se battre pour vivre sa passion, se dépenser sans limite pour améliorer ses pas et sa posture, aller envers et contre tous pour imposer cette vie à ses parents, rencontrer ceux qui vont l'aider à se dépasser, fuir de son pays et penser sans cesse à la Russie, vivre des histoires d'amour, défrayer la chronique et vivre comme un Prince.
« A l'évidence, il avait le génie de faire dire à son corps les choses qu'il ne pouvait exprimer autrement. Ses épaules affaissées, l'inclinaison de sa tête dictaient de façon absolue - même le dos tourné - que l'aborder serait plus qu'incommodant, même carrément blessant. Il état hors d'atteinte, de son père comme de moi. » p.77Comme dans la vie de Noureev, la danse a une place de choix dans le roman de Colum McCann. L'auteur y décrit les mouvement de l'artiste avec beaucoup d'élégance, nous raconte cette histoire comme si elle était dansée et que le lecteur était dans le public - sans omettre le lot de souffrance, de douleur, de peine, de déceptions, de stress et d'angoisse qui l'accompagne.
L'autre raison pour laquelle ce livre est absolument génial est son écriture. La façon dont Colum McCann nous raconte l'histoire de cet homme est tout simplement magique. Chacun de ses mots est choisi avec finesse, chaque phrase nous emporte plusieurs décennies en arrière, que ce soit en Russie à Londres ou en France, et surtout : toutes les voix auxquelles l'auteur fait appel se mélangent, se répondent et se complètent pour donner une image terriblement poétique de ce personnage. Beaucoup de personnages se succèdent en effet dans le rôle de narrateur et donnent une image très variée de Rudik. Sa soeur, sa mère, son père, son ami, sa mère « d'adoption », lui-même... les personnes qui nous racontent l'histoire de Rudik forment un panel assez vaste. On pourrait croire que le portrait de Rudik est finalement assez complet, mais c'est tout l'inverse qui se produit : ces différentes voix nous donnent un aperçu de la pluralité du caractère du danseur mais ne nous éclairent pas plus sur son aspect mystérieux.
« Vous le voyez au studio, à la barre, sous les toits, à la lumière du matin, bien avant l'arrivée de tout le monde, trouver intuitivement le geste que vous avez mis trois jours à apprendre ; vous le voyez bousculer les élèves dans le couloir, avec les guêtres que vous venez juste d'acheter, et, quand vous le prenez sur le fait, il dit : Va enculer un cheval ; vous le voyez tout nu sans sa coquille ; vous le voyez faire le beau, satisfait ; vous le voyez jouer des coudes jusqu'à se placer au milieu, devant les autres, pour se regarder sans gêne dans le miroir ; vous le voyez perdre patience, compter les temps en les regardant répéter leurs enchaînements ; vous le voyez lâcher sa partenaire parce qu'elle est un tantinet trop lente, et il ne l'aide même pas à se relever, alors qu'elle pleure et qu'elle s'est peut-être foulé le poignet, et il court devant la fenêtre pour hurler Merde ! dans la rue du Théâtre ; vous le voyez l'hiver, vous le voyez l'été et, chaque fois, il a l'air plus grand que vous et vous ne sauriez vraiment pas dire ce qui peut bien se passer. » p.107Les mots de Colum McCann sont finalement magnifiques. Il fait preuve d'un talent incroyable dans ce roman et nous emporte dès les premières pages dans un voyage incroyable. Il change son style à chaque changement de narrateur et fait preuve ainsi d'autant de talent que Choderlos de Laclos dans Les Liaisons dangereuses : chaque personnage a son propre langage et reflète à travers l'écriture non pas sa propre personnalité mais la façon dont il voit Rudolf Noureev.
Connaissiez-vous le danseur Rudolf Noureev ? Connaissez-vous un autre roman où les narrateurs sont multiples ? N'hésitez pas à me laisser vos avis sur ce livre en commentaires si vous l'avez lu !
En 1944, dans un hôpital soviétique, Rudik, six ans, danse pour son premier public : aucun des soldats mutilés n'oubliera cet instant éblouissant... Dès lors, ce fils de paysan sait. Il sait qu'il ne reculera devant rien : mentir à sa mère, braver la colère de son père, endurer brimades et humiliations. Pour danser comme il le doit, il ira même jusqu'à s'exiler à jamais. Travailleur acharné, obsédé de beauté et de perfection, Rudik fascinera tous ceux qui croiseront sa route, leur offrant le sentiment d'avoir côtoyé un ange ou un démon, un monstre d'excès et de passion. Dans tous les cas, un vrai génie.