une façon de se taire
Werner Lambersy, écrivain prolixe, plus de soixante-dix recueils au compteur, remet en jeu sa plume chaque fois qu’il se trouve devant la page. L’empan de sa poésie est le plus large qui soit, de la proximité, même ordinaire, à l’immensité cosmique. C’est dire qu’il joue sur toute la gamme avec science ou familiarité. Le titre du poème en majuscules fait partie du poème, l’envoie et l’introduit directement sans autre préambule.
PLUS RIEN NE COMPTE
hors l’inconnu continent /
du corps confiné…
Le poète cultive le paradoxe avec évidence et délectation. Il a toujours eu la sensibilité amoureuse, quel que soit son âge, et l’humour qui va bien avec :
deux seins et ton sourire
sacré bonneteau
De même, la mort, jamais très loin, est depuis longtemps apprivoisée, avec le même sourire en coin :
ELLE RÉPÈTE
je n’aime pas les enterrements
je ne suivrai pas même
le mien
j’ai répondu : ne t’inquiète pas
ma chérie j’y serai…
Tout chez l’auteur est matière à poème, de la pensée métaphysique aux éléments naturels maintes fois mis en mots depuis des siècles et des générations, mais on découvre chez Werner Lambersy des fulgurances et des trouvailles inédites : le vent n’a pas d’ombre ! et il ajoute mais on peut lire son âme / sur l’eau. Lorsque la poésie est ainsi pure et limpide, le lecteur n’a plus qu’à se laisser porter au long des étendues sensibles et des profondeurs humaines :
je suis sorti
les yeux dans les yeux
vides du ciel
la pluie n’avait pas de
paupières
Les philosophies se rejoignent dans ce flux continu où n’auront de place ni l’amertume ni la défaite. « La perte du temps » s’inscrit comme le compte à rebours vital qui s’enclenche aussitôt né, sans fatalisme ni tristesse. Le vers reste sobre, court, clair et complet. Il n’empêche que l’image en prend d’autant plus de valeur et de puissance.
…Comme s’égarent et
Se perdent
Les galaxies au-delà
Des lèvres de
L’espace…
La mort
De ceux qui n’ont rien
Nourrit la guerre
La guerre
Engraisse les plus gras
Les références littéraires et historiques pullulent et ce sont les chants du siècle passé et présent qui résonnent
Et la minerve du néant
Nous la portons autour
Du cou sous la fraise
En dentelle des étoiles
L’écriture embrasse et le temps et l’espace ; le poète se réapproprie les légendes aussi bien que les civilisations du monde.
L’aurore roulant
À l’approche du soleil
Son tabac blond
Le poète revêt l’aspect d’un démiurge de poche, nullement intimidé par l’ampleur de la tâche,
Et aux passeurs qui font payer
les morts
en les jetant par-dessus bord
et pourquoi le poète n’aurait-il pas, c’est le moins qu’il puisse se permettre, son mot à dire ?
Car la beauté
est une blessure
qui jamais ne doit guérir
Ni laisser l’imposture
soigner les écrouelles de
l’âme
Ainsi le poète poursuit-t-il son chemin d’aède, moderne mais véhiculant la tradition ancestrale qu’il assume et authentifie, à la fois, témoin constant, censeur épisodique et complice bienveillant, jusqu’au bout, sachant depuis le commencement que
Le poème
peut mourir d’un long souffle
Au cœur
Les deux recueils se complètent comme toute l’œuvre de Werner Lambersy s’imbrique dans une même vision poétique, à la fois joviale et aiguë.
Je contemple les étoiles
Et me demande si
Le compte y est
[Jacques Morin]
La perte du temps, Le Castor astral, 12 €.
Le Castor astral : 52, rue des Grilles – 93500 Pantin
Dernières nouvelles d’Ulysse, peintures d’Anne-Marie Vesco et préface d’Hubert Haddad, Rougier V. Éditions, 18 €.
Rougier V. éd. 61380 Soligny-la-Trappe..