Chers lecteurs, la situation est plus que grave, elle est dramatique : les lolcats ont, quasiment, gagné la partie et dans quelques années, si rien n’est fait, internet va s’effondrer. Dès à présent, si vous voulez sauver le monde, sauver internet et redonner une chance aux GIFs animés, arrêtez d’encombrer la bande passante avec vos vidéos de chats mignons qui font des bêtises par douzaines. Mais pour cela, il faut que nous nous y mettions tous, tous ensemble !
Il est vrai que, si l’on regarde autour de soi, on ne peut s’empêcher de constater que la population est devenue d’autant plus gourmande que les services et les occasions d’utiliser internet n’ont cessé de progresser. Parallèlement à cette explosion de l’offre, on assiste aussi à une croissance soutenue de la demande puisqu’internet compte trois milliards d’utilisateurs (ce qui fait deux fois plus qu’il y a sept ans, mes petits amis). Utilisateurs qui ont en plus le mauvais goût de réclamer plus de bande-passante. Là où 2 Mb/s suffisaient il y a dix ans, le 100 Mb/s est à peine suffisant de nos jours : avant, on pouvait se contenter de petits JPG un peu bavous, et l’éventuelle animation d’un site consistait surtout à faire tourner un arobas ou une enveloppe pour signaler l’e-mail du webmaster.
En effet, pour compenser la croissance explosive de nos besoins en débit, il faudrait déployer de la fibre optique à un rythme plus que soutenu, rythme et déploiement qui ont un coût que devra supporter l’internaute, ce petit être fragile qui n’a jusque-là trouvé qu’à grand peine les ressources pour se payer ces infrastructures. Autrement dit, on va manquer de fibre pour notre transit informationnel. La constipation des internets approche !
Mais le chercheur, qui ne recule devant aucun procédé rhétorique pour affoler la populace, va encore plus loin en abordant aussi la douloureuse question énergétique. En effet, chers lecteurs, vous devez absolument comprendre que tous les appareils qui font vibrer internet au rythme endiablé de la révolution numérique sont de gros consommateurs de courant électrique. Depuis votre petit téléphone mobile jusqu’à votre poste de travail, en passant par les serveurs, bien sûr, les routeurs, les switchs, les répéteurs et les appareils USB qui chauffent votre tasse à café ou clignotent dans la nuit, tous bouffent un volume affolant de courant : plus de 2% de la production mondiale d’électricité (ou 10% ici, mais c’est pareil, on s’en fiche), et jusqu’à 16% dans les pays les plus développés, sont ainsi dévolus à nos gadgets qui font pouic en réunion de travail et à nos serveurs qui nous permettent de trouver rapidement la pizzeria la plus proche ou comment faire grossir son zizi pour un prix modique. Et avec la consommation de flux qui augmente, la consommation d’électricité aussi.
D’après le professeur Ellis, on en double tous les quatre ans, alors que la production, c’est connu, ne suit pas ce rythme qui est parfaitement insoutenable. Bref, non seulement on va manquer de fibres, mais on va aussi manquer d’énergie.
Le constat est donc sans appel : Internet, cette si précieuse ressource, est en passe d’être épuisée, c’est à la fois horrible et catastrophique. Mais …
Mais c’est surtout une magnifique pignouferie de presse.
Il fallait s’y attendre. Une telle nouvelle, pleine de catastrophisme, de petits chiffres pas trop faciles à vérifier et de tendances exponentielles avec de gros morceaux de futur pas trop proche dedans, qui touche tout le monde et qui permet de culpabiliser les uns (avec leurs vidéos de vacances pourries et mal cadrées) et les autres (avec leurs pages web 0.2 pleines de chats qui font les cons), ça ne pouvait que fonctionner du tonnerre de Brest et se retrouver rapidement repris, d’un copier-coller à l’autre, dans tous les médias numériques dont l’occupation journalistique n’est plus qu’un prétexte construit autour du clickbait.
Bonus supplémentaire : en insistant sur la méchante consommation d’énergie que représente internet, on pousse le lecteur à se mortifier en débranchant ses quelques appareils électroniques qui seraient, de façon implicites, pas franchement Gaïa compatible, en oubliant consciencieusement toutefois toutes les économies que la révolution numérique aura engendrées, discrètement mais sûrement (eh oui : moins d’internet, ce sont des pans entiers de l’économie qui redeviennent bien plus complexes, ce sont des opérations en flux tendu qui redeviennent pleines d’à-coups coûteux, ce sont des prévisions plus difficiles voire impossibles à faire et donc plus d’erreurs, de gaspillage ou d’approximations encore moins Gaïamicales que l’était la consommation gourmande de services internet).
Bien évidemment, aussi sérieux le professeur Ellis tente-t-il d’être, toute sa passionnante étude ressemble de trop près à une belle resucée des meilleures pages malthusiennes : la production P (de fibres et d’électricité) croît de façon linéaire ou à peu près, la consommation C, elle, de façon exponentielle ou à peu près, et bien que P soit pour le moment au dessus de C, vous voyez nettement ici que C rejoint P dans un grand boum catastrophique et la dépasse en rigolant bêtement, voilà voilà. C’est puissant, non ?
Sauf qu’évidemment, production et consommation sont étroitement corrélés (par le prix, notamment) et à mesure que la consommation augmente, les coûts d’infrastructure augmenteront aussi, rendant de fait plus rentable la production de nouvelles facilités. Si l’on y ajoute les (r)évolutions technologiques qui ont jusqu’à présent largement permis d’éviter les impasses techniques (depuis celle des débits sur paire cuivrée jusqu’au manque d’adresses IPv4), tout affolement vis-à-vis des capacités futures d’internet à répondre aux besoins est parfaitement grotesque. Depuis les mécanismes naturels du marché jusqu’à l’incitation à l’innovation, tout est suffisamment en place pour qu’aucune pénurie ne pointe le début de son nez : on ne manquera ni de silicium ni de hamsters à pédales pour produire de l’électricité, et internet a donc de beaux jours devant lui.
En revanche, on manquera peut-être de fonds, ces derniers étant dévolus entre autres à subventionner ce genre de recherches fumeuses ainsi qu’une presse de plus en plus navrante qui relaie ces études certes rigolotes et promptes à fournir un sujet de billet amusant, mais bourrées de clichés malthusiens ridicules, toujours battus en brèche.
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