Magazine Beaux Arts

L’île des amours perdues

Publié le 14 mai 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

5 février 1971

Boulevard des Italiens à Paris, entre midi et treize heures. De leur navette entrée en orbite lunaire hier, les trois astronautes de la mission Apollo XIV Alan Shepard, Edgar Mitchell et Stuart Roosa, montés dans la capsule Antares, vont se poser sur la Lune à dix huit heures près du cratère de Fra Mauro. Dans le même temps, en  France, la grève  des mineurs de Lorraine se généralise; ils protestent contre la fermeture du puits de Faulquemont, prévue pour 1973.

"L'île des amours perdues" Série Boulevard des Italiens Gérard Fromanger 1971

Alors que France-Dimanche révèle le crève-cœur de Mireille Mathieu, on apprend que Georgette Lemaire s'est ouvert les veines.
Que réserve cette semaine "L'ïle des amours perdues" ?  Le kiosque à journaux du boulevard des Italiens semble protéger dans une relative intimité la cliente fidèle venue comme chaque semaine chercher dans son magazine la suite de son rêve dans un monde qui ne rêve plus. Rome vient de connaître de violents affrontements entre gauchistes et communistes. Les nouveaux heurts à Catanzaro et Reggio de Calabre ont fait un mort et vingt blessés. En Grande-Bretagne l'illustre marque Roll Royce sombre dans la faillite. "L'ïle des amours perdues"  pourra-t-elle penser les blessures du temps ?

Boulevard des Italiens

De l'Opéra à Richelieu Drouot par le boulevard des Italiens à Paris entre 12 heures 30 et 13 heures ce vendredi 5 février 1971, le peintre Gérard Fromanger et le photographe de presse Elie Kagan réalisent un reportage photographique. Elie Kagan travaille en indépendant. Dix ans plus tôt il a notamment couvert la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris organisée par le FLN et qui fut réprimée avec violence. Son témoignage photographique se révèle accablant à l'époque . Sur le boulevard des Itaiens ce sont des scènes banales, sans point de vue particulier qui sont captées.  C'est à partir de ces photos que Fromanger, après avoir transféré les clichés en diapositives,  projette sur l'écran de la toile blanche ces instantatanés ordinaires et peint une  série de vingt cinq tableaux exposée au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris en 1971-1972. L'écrivain Alain Jouffroy écrit alors un texte pour chaque tableau.

Etalonnage Italiens
Le recours par Fromanger à ces photographies qui ne sont pas les siennes lui permet de créer des « images prélevées comme une pellicule sur le mouvement anonyme de ce qui se passe » écrit Michel Foucault.
La collusion entre le peintre et le photographe ne s'arrête pas à ce partage du sujet. Les vingt cinq toiles de la série  Boulevard des Italiens constituent un ensemble indissociable, décrivant, d'une toile à la suivante, la totalité du spectre lumineux décomposé naturellement dans l'arc en ciel puis scientifiquement par Newton.
Dans "La peinture photogénique" le même Michel Foucault écrit au sujet des peintres de la Figuration narrative: « Ce qu'ils ont produit au terme de leur travail, ce n'est pas un tableau construit à partir d'une photographie, ni une photographie maquillée en tableau, mais une image saisie dans la trajectoire qui la mène de la photographie au tableau ». Cette analyse remarquable s'applique à la perfection au travail de Gérard Fromanger, à cette trajectoire parcourue depuis cinquante années de peinture. Après la période turbulente et grisante de l'Atelier des Beaux-arts en 1968, lorsque la peinture s'affichait dans la rue, les peintres  vont devoir retourner dans leurs ateliers. Fromanger y rapporte ces images de la rue et commence son interrogation sur la peinture, questionnement qui se poursuit aujourd’hui. Pour autant le peintre ne se contente pas du rôle de spectateur :  « Le monde n'est pas un spectacle, ni une représentation. Je suis dans le monde, pas devant le monde ».


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pantalaskas 3071 partages Voir son profil
Voir son blog