Il y a quelques années, le Festival de Cannes avait souhaité, pour affirmer son caractère universel et montrer qu'il était bien le premier au monde, se doter d'un autre nom : Festival International du Film. Mais on ne change pas un nom comme cela. Pour les 30 à 35 000 personnes qui, chaque année au mois de mai depuis 1946, font leurs valises pour y passer onze jours, il s'agit du festival DE CANNES, rien à faire... Et la Présidence de cette institution maintenant vénérable (nous serons en 2015 à la 68e édition) est revenue tout récemment au nom initial.
Parler de Cannes, c'est évoquer une sorte de démesure... Cannes, c'est évidemment " le miroir aux alouettes ", quelque chose de démesuré et de dérisoire, à la fois (lire à ce sujet le bouquin de Gilles Jacob, ancien Président du Festival, dont le titre dit tout : " la vie passera comme un rêve "...).
" Cannes ou la lutte des classes " : le festival, c'est comme le paquebot " Titanic ". Il y a la première classe, la classe " touriste ", mais aussi le fond de cale. Selon que vous êtes journaliste américain pour Netflix, directeur de salles de cinéma en France ou simple cinéphile, vous n'avez pas tout à fait les mêmes égards. C'est-à-dire que vos places pour la séance de 8h00 du matin, la séance-presse, vous parviennent directement à votre hôtel (le Martinez est luxueux, mais le Carlton, c'est quand même autre chose...), ou bien vous faites la queue pendant une heure au bureau des exploitants. Et trouver une place pour les films les plus attendus à la séance du soir, c'est souvent " mission impossible ". 35 000 festivaliers, 2309 places dans le Grand Auditorium Louis Lumière.
Vous êtes donc, quand même, muni du précieux sésame ? Bien... Mais avez-vous au moins votre " tenue de pingouin "? Nooon, monsieur, vous ne pouvez pas rentrer aux séances du soir en costume-cravate... Tenue de soirée obligatoire. Bien... Une fois la tenue adéquate enfilée, le nœud papillon bien positionné, vous vous positionnez en bas des marches, au démarrage du tapis rouge. Euh, nooon... Monsieur, avec ces places là, vous entrez par les côtés, et vous ne foulerez de vos pieds qu'une partie du tapis rouge. Bon. Quelques minutes après, vous entrez enfin en salle, et là...
" Cannes ou la projection parfaite " : Il faut souffrir pour accéder au plaisir ultime... Vous montez les marches assez escarpées du balcon, vous vous installez, vous contemplez l'écran de plus de 20 mètres de base, la séance démarre, pré-générique, avec ce si bel extrait du " Carnaval des animaux " de Saint Saëns, " Aquarium "... et vous assistez, ensuite, au choix, à un film intimiste turc ou à une superproduction hollywoodienne. A ce propos, un des plus grands chocs cinématographiques que j'ai jamais éprouvé, fut, en 1977 au Festival, la projection d' " Apocalypse now ", avec la charge des hélicoptères accompagnée de la " chevauchée des Walkyries " de Wagner. Bien sûr, certains esprits chagrins ont alors dit qu'il aurait fallu plutôt baptiser le film " Apocalypse show "... mais ne boudons pas notre plaisir, que l'on revoie ce film aujourd'hui en version courte ou en version " Redux ", avec ces étonnantes scènes coupées par Coppola, qui ne voulait pas, initialement, dépasser 2h21.
A l'époque des projections argentiques, de la pellicule 35 ou 70 mm, le Palais des Festivals était une ruche bourdonnante la nuit : tout film devant être projeté devant les festivaliers était, auparavant, projeté en présence de l'équipe technique, avec un peaufinage des réglages visuels ou sonores, pour que les spectateurs voient le film exactement comme le souhaitait le réalisateur. D'où l'impression, dans le grand auditorium, d'une qualité très rarement atteinte dans l'exploitation traditionnelle, avec notamment un son intelligible sur les dialogues pour la plupart des films français, ceux tournés en son direct. Mais ceci, c'est une autre histoire...
Extrait de " Confidences d'un directeur de salles " de Christian Seveillac (éditions Lettmotif, parution fin juin 2015).