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« Une ville devient intelligente dès lors qu’elle sait exploiter ses données »

Publié le 13 mai 2015 par Pnordey @latelier

Avoir une approche quantitative de la smart city : c’est selon Joer Firnkorn l’aspect essentiel pour inventer la ville intelligence de demain. Entre optimisation des ressources et ouvertures des données, la smart city de construit sur l’exploitation des données.

Interview de Joerg Firnkorn, chercheur spécialisé dans la mobilité durable et la ville intelligente. Après une thèse sur le système d’auto-partage « car2go » à l’université d’Ulm, il rejoint en 2012 le Centre de recherche pour la mobilité durable de l’université de Berkeley. Depuis mars 2015, il est chercheur associé à l’université d’Ulm.

L’Atelier : Votre domaine d’étude concerne la mobilité et la ville intelligente. Cependant, le concept même de ville intelligente est difficile à saisir. Quelle est sa définition la plus générale selon vous ?

Joerg Firnkorn : C’est vrai : il n’y a pas de définition générique de la ville intelligente, ni dans l’Industrie, ni dans le monde académique. Chacun utilise le concept en fonction de son besoin. À mon sens, il faut introduire une différence entre ce qu’est une ville intelligente sur le long terme – et c’est ce que j’appelle la vision stratégique – de ce qui peut être accompli dans le court terme – et c’est une vision technique.

Je considère que le long terme, c’est un horizon à 30 ans. Il permet à la ville de construire une stratégie cohérente qui unifie toutes ses composantes : les services publics, la citoyenneté, le dynamisme économique, les transports et les ressources. Cette stratégie doit se fonder sur des études quantitatives réalisées à partir de la collecte et l’analyse des données publiques. Elle n’est ni le résultat d’hypothèses non-corroborées dans les faits, encore moins d’intuitions, et ne doit en aucun cas être portée par les fluctuations de l’agenda politique.

Et ceci m’amène au court terme, et à ce que j’appelle la vision technique de la ville intelligente. Dans un horizon temporel de quelques années, une ville devient intelligente si elle organise la collecte des données. En pratique, cela signifie deux choses : équiper les villes de nouvelles technologies et ouvrir ces données aux développeurs dans une optique de transparence. Bien entendu, cela soulève de vastes questions en matière de sécurité et de confidentialité.

J’ajouterais de manière plus transversale qu’une ville intelligente se doit d’être flexible. Prenons un exemple proche : la circulation aux heures de pointe sur le Golden Gate. Le matin, six voies sur neuf sont ouvertes dans le sens de San Francisco. Le soir, c’est l’inverse. L’objectif, bien entendu, est de fluidifier le trafic aux heures de pointe. La ville s’adapte aux mutations journalières de ses flux urbains. En d’autres termes, une ville intelligente est flexible et dynamique. Elle s’adapte à la demande.

Toutes les villes partent-elles du même point pour devenir intelligentes ? Quels sont les meilleurs exemples de villes intelligentes ?

Non, et il faut introduire une différence supplémentaire entre les villes nouvelles et les villes existantes. Une ville nouvelle a la capacité de se doter dès sa création d’une vision stratégique ambitieuse, et même audacieuse. D’une certaine manière, c’est ce qu’a accompli Singapour à l’origine. Le pouls de la ville est rythmée par un réseau de capteurs de caméras, et même de GPS qui, embarqués dans les taxis, mesurent en temps réel le trafic. Singapour a été la première ville au monde à mettre en place une tarification dynamique en fonction de la congestion des routes. Et cette vision d’une Singapour multiethnique, d’une « ville dans un jardin », a été portée dès les années 1950 par Lee Kuan Yew, premier ministre de 1959 à 1990.

Les villes existantes quant à elles doivent composer avec une toute autre équation. Elles doivent d’abord se mettre au niveau technique de leurs futures ambitions. Prenons l’exemple de Bogota qui, au début des années 2000, a mis en service le TransMilenio, un système de bus rapide. L’ambition : lutter contre le trafic monstre qui paralyse la ville aux heures de pointe. Aujourd’hui, le TransMilenio est le réseau de bus le plus important au monde, avec 12 lignes pour un total de 112 km et plus de 2,2 millions de passagers par jour. Et pour un coût bien moindre que la réalisation d’un métro sous-terrain. Prenons un autre exemple : Barcelone est sans doute la ville d’Europe la plus avancée dans l’application des nouvelles technologies pour planifier sa politique urbaine. Elle a une politique d’ouverture des données qui fait que les informations publiques sont accessibles à tous les citoyens, mais aussi les entreprises, pour les exploiter et en tirer de nouveaux services. L’application « App&Town », par exemple, qui guide les individus d’un point A à un point B de la ville, en prenant en compte l’ensemble des solutions de mobilité, est le résultat d’une telle politique.

Les villes doivent aussi apprendre les unes des autres. « Citymart », par exemple, est un outil puissant à leur service. C’est une plateforme collaborative de partage de bonnes pratiques. Aujourd’hui, plus de 50 villes ont adopté Citymart, dont Londres, Paris, Barcelone, San Francisco…

Qu’est-ce que finalement la notion de « smart transportation » ?

Un des aspects fondamentaux de cette notion est de donner des alternatives aux gens. Un bus tout seul, un système de partage de vélos ou de voitures : ces initiatives ne sont pas intelligentes. Par contre, toutes ces solutions combinées peuvent former un système de transports intelligent. C’est pour cela qu’il est difficile de convaincre les habitants de ne plus posséder leur voiture : elle est en face de leur maison, prête à l’emploi. Pour réussir, il faut leur faciliter l’accès à des alternatives crédibles de transport, et leur proposer des trajets intelligents qui utilisent plusieurs moyens de transports.

Par exemple, la Octopus Card à Hong-Kong vous donne accès à une multitude de moyens de transports. Plus généralement, les citoyens ne veulent pas une multitudes de cartes pour se déplacer, mais plutôt une qui rassemble tous les services de transports. La start-up allemande, Moogle permet d’une part d’optimiser les moyens de transport pour aller d’un point A à un point B mais elle permet surtout de réserver son pass directement pour ce trajet, et tout cela sur la même application. Un mode d’accès : c’est pour moi le futur de la mobilité intelligente.

Quelles prospectives pour la « smart transportation » ?

Beaucoup d’entreprises réfléchissent aujourd’hui dans le cadre de la smart city à optimiser les modèles existants, et c’est une bonne chose car l’une des prospectives les plus durables pour les villes serait de transformer certains aspects structurels. En effet, pour créer un transport le plus agréable possible pour les citoyens, il faut qu’ils ne sentent pas qu’ils sont en train de voyager. Pourquoi ne pas créer des structures où les citoyens auront moins besoin de commuter ? Il faut donc repenser les structures traditionnelles des villes afin de réduire les déplacements.

Selon moi, les deux changements qui peuvent avoir de l’impact pour les smart cities sont la facilité d’accès et de réservation aux moyens de transports et d’autre part, la voiture électrique. Même si j’estime qu’il ne faut pas concentrer les efforts sur la voiture électrique car elle ne résoudra pas grand chose toute seule : être coincé dans les bouchons avec une voiture traditionnelle ou électrique revient au même … Il en est de même pour les Uber ou les Lyft qui ne sont en fait pas utilisés pour les migrations pendulaires, à l’exception de certains professionnels. En effet, même s’ils sont efficaces, ces services restent très chers et une mauvaise alternative si l’on veut éviter les embouteillages. Ces services ne sont donc finalement qu’une partie du système de mobilité intelligente.

La solution semble de travailler les aspects logistiques : le « statique », là où les véhicules stationnent à un même endroit à un instant T (parking, embouteillages) et le « dynamique », c’est-à-dire l’optimisation des flux.

Et les voitures autonomes dans tout ça ? Sont-elles synonymes d’une vraie disruption ?

Les voitures autonomes vont être totalement disruptives, que ce soit pour le transport de personnes ou le transport de biens. Pour le moment, la législation est encore fragile, et il va falloir encore un peu de temps avant qu’elles soient totalement démocratisées. Certains sont d’ailleurs peut-être allés trop vite par rapport à la réalité du marché … Les constructeurs ont tous su prouver qu’ils étaient capable de fabriquer des voitures autonomes fiables. Uber prévoit d’ailleurs de fabriquer sa propre voiture autonome. Les voitures sans chauffeurs sont à coup sûr l’innovation de rupture de ces 30 prochaines années.

By Pierre Pariente & Arthur de Villemandy


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