Mais je n’ai pas pu en parler. J’avais l’impression de ne pouvoir vous proposer qu’un résumé de lecture, un ressenti superficiel et de peu d’intérêt en fait. En regardant de plus près ce que j’offre sur ce média, le blog, j’aimerais améliorer les portes ouvertes vers d’autres lectures, les ressentis qui portent les graines du débat, du changement, même minime. Une façon de lire pour aller de l’avant. Je ne sais pas encore manger un livre, le digérer, me l’approprier, je manque de patience. Par l’élaboration des billets cependant, je marque pour vous, mais surtout pour moi, les réflexions essentielles qui m’ouvrent d’autres voies. Des mises à profit pour le futur mais aussi des remises en causes perpétuelles des valeurs que j’aimerais transmettre, pas par obligation ou action volontaire, mais par compréhension, esprit critique et débat perpétuel. Alors humblement, je mets ma pierre à l'édifice.
Alors voilà, je l’ai relu en diagonale. J’aime cela d’ailleurs : lire un livre avec la vitesse d’un gallot vers la fin de l’histoire (par envie de divertissement, d’aventure extérieure ou intérieure), cette relecture de croisière sur les passages qui ont trouvés écho lors de cette première lecture (y retrouver les thèmes qui m’ont touché, qu’il est bon de reprendre et d’interroger), et cet envol diagonal des pages, pour reprendre le cours de l’histoire, se remémorer les étapes clefs, trouver une richesse du développement mais aussi interroger nos réflexions depuis.
A travers les confidences d’Amir, afghan pachtoun, nous suivons son enfance, liée à son domestique, ami, Hassan, afghan du peuple Hazara. Dans une Afghanistan aux tensions entre les différentes ethnies, Amir nous dévoile ses parts d’ombre, son exil de ce pays en guerre, sa construction identitaire et professionnelle ainsi que son retour en terres d’enfance pour se pardonner lui-même d’être ce qu’il est. L’histoire m’a happée mais aussi et surtout les thèmes abordés.
Les relations père-fils sont décrites entre tradition, culpabilité, besoin de reconnaissance et désabus. Baba, le père d’Amir, homme d’honneur, de force musculeuse et mentale, ne se reconnait pas dans son fils. Ce dernier est plus adroit au jeu de sherjangi « la bataille des poèmes », qu’au sens héroïque et animal demandé par le tournoi annuel de buzkashi « polo attrape chèvre » (dont vous trouverez un très beau billet là. Il est littéraire et faible et ne doit pas sa tranquillité d’enfant qu’à son complice, ami, domestique, Hassan, plus prompt à la bagarre de défense. « Les enfants ne sont pas des livres de coloriage ».
Les tensions ethniques au centre du livre, entre Hazara, chiite, et Pachtoun (achtou, pathan ou afghan), sunnite. Cette incompréhension, ignorance ou désaveu, qui plane dans l’éducation : les uns obligatoirement domestiques des autres. Amir, enfant, découvre comme seul élément d’éducation institualisée un livre : « Il avait été écrit par un Iranien nommé Khorami. Je soufflai dessus pour en ôter la poussière, l’emportai discrètement dans mon lit ce soir-là et découvris avec surprise un chapitre entier consacré à l’histoire des Hazaras. Un chapitre entier sur le peuple d’Hassan ! (…) Il expliquait une foule de choses que j’ignorais, des choses que mes professeurs n’avaient jamais évoquées. Ni Baba d’ailleurs. En revanche, il ne m’apprenait rien en ajoutant par exemple que les gens traitaient les Hazaras de « mangeurs de souris » et de « mulets de bât au nez plat ». J’avais déjà entendu des enfants crier ces insultes à Hassan. » Pour vous faire une idée des ethnies afghanes, c’est ici.
L’esprit critique du père sur sa religion, l’islam, religion d’état, nous permet de se positionner de l’intérieur dans une société traditionnelle mais aussi sur une histoire. Les traditions s’en trouvent recolorées mais aussi toute la tragédie afghane depuis 1978. Vous ne voyez pas de quoi je parle : ici vous aurez un beau résumé. L’histoire nous permet de suivre l’exil vers l’Amérique, les nouveaux comportements, toujours codés mais différents et de retrouver la petite Afghanistan entre brocantes et marchés secteur biens d’occasion. Les traditions perdurent, les mentalités restent autant pour les fiançailles, mariages, funérailles mais l’exil a apporté un peu de légèreté à la vie. « - Je constate que l’Amérique t’a insufflé l’optimisme qui lui a permis de devenir une grande puissance. Tant mieux. Nous autres Afghans sommes trop mélancoliques. Nous avons trop tendance à sombrer dans le ghamkhori, à nous apitoyer sur nous-mêmes. Pour nous, non seulement le deuil et la souffrance vont de soi, mais ils sont nécessaires. Zendagi migzara, affirme le proverbe. « La vie continue. » »
Et puis ces rêves prémoniteurs, ces vies parallèles aux envies d’enfants et de pardons. Cette guerre des enfants, commune entre générations, souvenir et résurgence des relations : la bataille hivernale de cerfs-volants. Il faut être le dernier en l’air et grâce à son fil encollé au verre pilé couper tous les fils des autres cerfs-volants : le roi est celui qui tient en main le sien, le dernier dans le ciel et celui du dernier vaincu, cerf-volant source d’une course poursuite dans les rue de Kaboul. Vous retrouverez ici des extraits du livre, des photos et explications reprenant cette activité d’enfants : à lire ! Nous imaginons alors Kaboul, ville florissante d’une enfance et ville détruite d’un adulte. Pour vous faire une idée de cette ville après l’histoire, c’est ici.
Cette lecture est assez salvatrice. En dehors de l’histoire, troublante, émouvante, nous suivons un personnage pas si bien sous tous rapports, menteur, égoïste, lâche. Coupable de ne pas être un enfant innocent mais courageux de retourner vers son passé. Comme le dit son ami, lui-même ami de son père, Rahim khan, pour ses débuts de romancier : « Ton récit témoigne d’une grammaire maîtrisée et d’un style intéressant. Cependant, sa qualité la plus impressionnante réside dans son ironie. Cette notion t’est peut-être inconnue, mais tu la comprendras un jour. C’est une chose que certains écrivains cherchent à acquérir tout au long de leur carrière sans jamais y parvenir. ». L’ironie d’une vie apparait là et même si le leitmotiv du livre dicté aussi par Rahim khan est « Il existe un moyen de te racheter », je trouve que le courage principal de ce livre, de ce héros, est de ne pas chercher le pardon, mais de revenir sur les traces de ses culpabilités pour aller de l’avant, ouvrir des possibles.
Katell l’avait aimé et moi je n’ai qu’une envie, voir le film, assez fidèle d’après Khaled HOSSEINI, et lire les BD « Photographe » de Didier LEFEVRE et Emmanuel GUIBERT. Le site de cette série en BD vous donnera peut-être l’eau à la bouche ou plutôt l’œil au cœur : elles reprennent les voyages de Didier LEFEVRE comme reporter photographique en Afghanistan à partir de 1986.