Richard Brady, chirurgien fondateur du site web Researchactive.com s’exprime sur l’écosystème des applications médicales aussi varié soit-il, et met en lumière les moyens qui permettraient de mieux engager les utilisateurs de ces applications mobiles. Il sera présent à l’occasion du congrès Health 2.0 qui se tiendra les 18 au 20 mai prochains à Barcelone et dont L’Atelier est partenaire.
L’Atelier : Quel est votre constat général à propos des applications mobiles médicales ?
Richard Brady : Aujourd’hui, on recense plus de 150 000 applications médicales disponibles sur le marché, mais de récentes études ont démontré que plus de 50 % d’entre elles ont été téléchargées moins de 500 fois. Les applications médicales sont répandues et disponibles, mais beaucoup moins utilisées qu’on voudrait le croire. De plus, il existe très clairement une batterie de mauvaises applications médicales : mal construites, dangereuses, inexactes, ou développées uniquement dans le but de faire du profit, sans aucun test préalable ou de connaissance précise sur le sujet qu’elles abordent. Ces applications prolifèrent mais peinent tout de même à s’imposer sur ce marché très compétitif.
2015 est une année rude mais aussi cruciale en ce qui concerne l’évolution de l’écosystème des applications médicales. Globalement, je pense qu’il persiste un manque d’information ainsi que de confiance de la part de grand public et des docteurs en ce qui concerne le potentiel réel des applications médicales. Ces insuffisances sont véhiculées par un défaut d’espaces fiables et réputés pour télécharger des applications médicales de bonne qualité, et par les classifications peu claires des app stores, qui ont tendance à mélanger les applications de catégorie « lifestyle et fitness » avec les applications médicales. De plus, l’absence d’un système d’étiquetage reconnaissable qui signalerait au consommateur que l’application est basée sur des preuves scientifiques ou a été examinée par des professionnels, ne participe pas à guider le consommateur.
De ce fait, on détecte de plus en plus du cynisme au sein des patients et des médecins à propos des applications médicales, qui a pris le pas sur l’enthousiasme général qui avait gagné ces mêmes populations sur les bénéfices d’une telle technologie.
Quel est le domaine le plus susceptible, selon vous, de voir proliférer les applications médicales ?
Les possibilités en ce qui concerne les applications médicales sont sans limites. À l’avenir, le point culminant des applications médicales résidera dans le transfert entre tradition et technologie. Par exemple, le passage des dossiers papier aux dossiers médicaux électroniques efficaces et universels, qui pourraient combiner les informations issues des wearables portés par le patient avec les données traditionnelles de ces derniers, pourrait procurer une image beaucoup plus large aux professionnels.
Le fait d’utiliser les applications médicales pour stocker et/ou analyser une quantité massive de données sur la population - sur leur santé ou leur style de vie - ouvrirait la porte à une quantité innombrable de possibilités. Par exemple, la combinaison du big data concernant les patients et de la capacité d’analyse offerte par des services comme celui d’IBM Watson pourrait permettre de suggérer au malade des diagnostics et des traitements sur-mesure et, de ce fait, incarner la prochaine génération de système de guidage de traitement, utile pour des maladies comme le cancer.
Quelles applications médicales en particulier pourraient représenter les futurs « hits » de l’année 2015 ?
Les applications qui rencontreront un succès certain sont celles qui permettront de disrupter les soins qui ne nécessitent pas une hospitalisation. En effet, le fait de réduire les dépenses et les inconvénients associés au fait de devoir se rendre à l’hôpital et, par conséquent, de réduire les coûts fait que ce seront les applications les plus susceptibles de se démarquer.
Dans le même ordre d’idée, il y a énormément d’applications axées « santé mentale » qui ont récemment été classées dans la nouvelle bibliothèque du National Health Service, comme l’application Big White Wall : une plateforme anonyme qui permet aux patients de s’exprimer en ce qui concerne leurs problèmes mentaux et leur permet de s’investir dans une thérapie.
Dans une optique de gain de temps, les applications capables de procurer un avis médical instantané, en dehors du cabinet d’un praticien ou d’un hôpital sont susceptibles de connaître un véritable succès puisqu’elles épargnent au patient d’éventuels frais et un déplacement.
Pensez-vous que les utilisateurs sont prêts à intégrer les applications médicales à leur quotidien ?
Comme je l’ai déjà évoqué précédemment, 2015 sera une année cruciale pour le développement des applications médicales. Selon moi, une meilleure éducation des patients permettrait la démocratisation des applications médicales, car ils gagneraient en confiance et sauraient mieux comment les utiliser.
Malheureusement, le nombre croissant d’expériences négatives sur des applications médicales de mauvaise qualité relayées dans les médias, additionné à la difficulté de trouver une application médicale qui convienne à son cas, sont deux éléments qui freinent les patients comme les professionnels de la santé dans le processus de confiance qui doit s’instaurer, avec pour conséquence un désintérêt des utilisateurs.
En qu’en est-il des professionnels de la santé justement ?
En ce qui concerne les professionnels, il serait possible d’augmenter la participation des médecins en augmentant l’information et l’éducation à leur égard, et en les engageants dans la conception, les tests et la production d’applications.
Nous sommes cruellement en manque d’un signal fiable qui permettrait de prouver que les applications sont sécurisées, testées et efficaces. La mise en place d’un référentiel nourri par les avis de professionnels de confiance en ce qui concerne les applications, avec une clarté autour de l’origine de celles-ci, des tests et des détails à propos de leur effet pourraient permettre de rassurer les professionnels quant à leur utilisation.
Le problème majeur reste le manque de preuve que les applications sont performantes. Nous avons été, jusqu’à présent, assez inefficaces en ce qui concerne la production de recherches de bonne qualité pour confirmer l’efficacité clinique des applications mobiles. Il devient crucial de prouver que les patients sont « compatibles » avec les applications mobiles et de mettre en lumière les avantages que celles-ci peuvent amener.
Il est nécessaire, selon moi, que les producteurs d’applications, les développeurs, les app stores mais aussi les médecins se réunissent afin de rendre cette technologie plus attrayante pour les cliniciens comme pour les patients.