Mercredi soir à Strasbourg, c'était Ariane et Barbe Bleue de Paul Dukas (1907), rareté du répertoire que seuls les courageux opéras de province osent produire. Pourtant, la partition est passionnante - et puissante ! C'est un mélange de wagnérisme revendiqué et d'expressionnisme post-romantique foisonnant, le tout en français. Le livret est signé Maeterlinck, comme Pelléas et Mélisande (1902) ; les désuets noms des personnages (Mélisande, Yvraine, Alladine, Sélysette et Bellangère) et des lieux (Orlamonde) évoquent l'ambiance crépusculaire du chef d'oeuvre de Debussy.
C'est une réécriture tempétueuse du conte de Perrault. On est immergé dans un univers irréel, sous-marin ; on attrape en plein vol le fil d'une histoire asphyxiante qui se perd dans des limbes nébuleuses. Lorsque le rideau se lève sur la sinistre scène, Ariane est déjà sur le point d'ouvrir les sept portes ; point de prélude à ce huis clos. L'essentiel de cette version se déroule dans l'atmosphère pécheresse de la zone interdite où Ariane retrouve ses sœurs, à demi mortes, et tente en vain de les reconduire à la lumière du jour, hors du cauchemar tortionnaire dans lequel Barbe Bleue les tient captives. Paul Dukas a sous-titré son œuvre " le refus de la délivrance ", dénonçant l'attitude des sœurs qui préfèrent se complaire dans un esclavage familier - sujettes au syndrome de Stockholm ? - plutôt que de faire le choix de la liberté, tel Ariane.