Julie Nioche, Matter (cl. Jérôme Delatour / Images de danse)
Dans une précédente pièce, H2O-NaCl-CaCo3, l'installation, faite de structures gonflables, prédominait. On y trouvait déjà certains éléments de Matter : l'espace, le blanc, le noir, des structures transformées par l'action d'un fluide, une attirance indéfinissable pour l'extase et la contemplation.
Le fluide était alors un gaz, c'est aujourd'hui de l'eau. A nouveau, dans Matter, un principe physique élémentaire produit une installation spectaculaire et raffinée - qui rencontre, étrange ironie, l'esthétique à la mode des Blackberry et des iPhones. Mais, fort heureusement, l'installation n'occulte pas les danseuses, ni le discours de la chorégraphe. Elle pose les termes d'oppositions essentielles : clair-obscur, ferme-éphémère, transparence-miroir, pur-maculé, immatériel-charnel. Dans ce cadre polysémique officient quatre jeunes femmes. Il est question, bien entendu, de l'enfermement de la femme et de ses accessoires vestimentaires : capotes tunnels, robes mariales, moniales. La pluie purificatrice vient déchirer ces vains écrans et, en révélant le corps féminin, rend raison à sa force dense, brute, innocente, pudique, digne.
Mais rien n'est simple. Les carcans de papier sont aussi des armures qui font des quatre danseuses, pour reprendre l'expression de Jan Fabre, des guerrières de la beauté. Aidées d'une assistante qui les pare comme pour un adoubement, ces médiatrices sacrées exécutent tour à tour, l'air grave et recueilli, un rituel mystérieux.
Mia Habib trousse son paquet de papier froissé comme le saint Marc de l'Evangile d'Ebbon, a la frontalité solide et pensive des femmes de Piero della Francesca ; Rani Nair, à qui poussent des appendices angéliques, improvise une Madonne extatique ; Bouchra Ouizguen lève les yeux vers un ciel insondable ; toutes écartent les bras et les mains, orantes ou supplicatrices, ou sémaphores sereines. Ainsi donc, de ce projet où chaque interprète semble improviser sur ses sensations et son expérience intimes, de cette fraternité de femmes de cultures et de physiques divers, transpire également une aspiration diffuse à une forme de spiritualité. Ceci est dans l'air du temps, et il faut bien que la danse en parle. Après les tables rases il se rencontre toujours, et c'est heureux, des curieux humbles pour se pencher sur les miettes et les gravats.
En un mot, on apprécie la grâce, la modestie, la délicatesse, la détermination de Julie Nioche, qualités qui ne cessent de me frapper chez cette frêle chorégraphe au visage d'enfant.
♥♥♥♥♥♥ Matter, de Julie Nioche, a été créé les 26, 27 et 28 mai 2008 dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis.
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