Jean-Pierre Mocky n’occupe pas la place qu’il mérite dans le cinéma français. Si l’on s’attarde un instant sur son impressionnante filmographie (60 longs métrages, 40 téléfilms), on s’aperçoit que, pendant plus d’un demi-siècle, il s’est toujours comporté en observateur de la société française. Il a passé son temps à zoomer sur tous ses dysfonctionnements, sur ses turpitudes, sur ses aberrations, sur ses manquements, sur ses iniquités, sur ses hypocrisies… Jean-Pierre Mocky n’a eu de cesse de mettre le doigt, et même parfois la main ou le bras tout entier, là où ça fait mal. C’est un dénonciateur chronique. Chacun de ses films aborde une thématique poil-à-gratter. Il a fustigé entre autres la bigoterie, le terrorisme, la corruption, le fanatisme sportif, l’abus de pouvoir…Forcément impolitiquement correct et iconoclaste, il a l’indépendance viscérale, la rébellion systématique et l’indignation chevillée à l’âme. Evidemment, il est loin de plaire à tout le monde. D’autant qu’il possède une grande gueule et qu’il ne se prive pas de dire très haut ce qu’il pense.
Sa biographie, Je vais encore me faire des amis ! rassemble la quintessence de ce caractère indomptable, voire insoumis. Ce livre est savoureux car il lui ressemble en tout point. Jean-Pierre Mocky est sincère et direct, même sa mauvaise foi est honnête parce qu’elle est assumée. Dans tous ses passages télévisés, la plupart de ses interlocuteurs se sont complus à stigmatiser ses inimitiés et ses ressentiments. Or, je trouve qu’il se dégage de cet ouvrage beaucoup plus d’amour et d’amitié que d’aigreur et de méchanceté.
Jean-Pierre Mocky a écrit ce livre comme il parle. Il ne recherche pas la style, il ne s’embarrasse pas de fioritures. Il va à l’essentiel, droit au but, au plus près de l’os. Sa profession de foi est synthétisée dès la page 20 : « Moi, Jean-Pierre Mocky, étranger au monde de l’espionnage, exempt de tout délit et politiquement indépendant !... Comme Coluche, j’appartiens au cercle très restreint des artistes qui mettent les pieds dans le plat. Ennemi juré de la langue de bois, je n’ai jamais craint d’afficher mes révoltes. Ça me coûte de plus en plus cher, mais la liberté a un prix ! ». Tout est dit.
A une époque où la liberté d’expression se réduit de jour en jour telle une peau de chagrin, on a besoin de ce genre de bouffée d’oxygène. N’en déplaise aux zélateurs de tout poil, Jean-Pierre Mocky peut se montrer fier de sa carrière, de son œuvre, et surtout de ce tempérament exempt de toute servilité. Acteur, puis réalisateur, sa vie privée comme professionnelle a été d’une richesse incroyable. Sur le plan de l’amitié, il a été – à juste titre sans doute – très gâté. Il en fait des belles rencontres ! Très respectueux de ses aînés, de ses grandes figures tutélaires que sont les pionniers du cinéma français, il apparaît évident qu’il a moins d’estime pour ses pairs que pour ses grands pairs.
Mocky aime aussi fort qu’il se fâche. Mais, malgré tout, entre certaines lignes, on sent poindre un peu de nostalgie et beaucoup de tendresse. Il doit avoir un cœur qui bat plus vite et plus fort que la moyenne. D’où l’exacerbation des sentiments. Alors qu’il pourrait se contenter de ces formidables amitiés qu’il a partagées, il reste et restera toujours un éternel insatisfait. Il y a encore tant de causes à défendre, da saloperies à dénoncer, d’acteurs à diriger. Jean-Pierre Mocky fait partie de ces rares personnalités dont on voudrait que le « Moteur » ne s’arrête jamais de tourner…