Magazine

Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 145

Publié le 10 mai 2015 par Antropologia

Chez le coiffeur (2) : Différence

Comme on recommande un médecin ou un psy, une amie m’a préconisé d’aller le voir en m’avertissant : « Ne sois pas étonnée, ça ne ressemble pas à un salon de coiffure ». Effectivement, on dirait une boutique d’antiquaire, bien que des tarifs de coupe/couleur/brushing soient annoncés sur la vitrine. Le salon n’a pas de nom affiché mais tout le monde sait qu’on est chez Jacques et Stéphane. Stéphane coupe les cheveux des dames, des enfants, des messieurs, en écoutant FIP sur un vieux transistor et la plupart du temps, en ne parlant pas. Parfois, il évoque un objet qu’il a trouvé et qu’il aime particulièrement. Il examine ses clients avec un œil clinique, évaluant la gravité de la situation. Il s’enquiert ensuite des desideratas par un simple « Qu’est-ce vous voulez ? », fait préciser la demande, puis assoit le client sur un tabouret au milieu des tableaux, des livres, des vases et autres objets d’autrefois. On remarque quelques photos en noir et blanc d’un coiffeur à la belle moustache qui doit dater des années 50. Danielle, une dame blonde à la chevelure digne de Marilyn, s’occupe des couleurs et des brushings. Elle a bien plus de conversation que Stéphane, qui parfois s’agace en lui assénant un « Je travaille, Danielle ». Lorsque vient mon tour, je suis intimidée mais tâche d’expliquer mon souhait le plus précisément possible. Assise sur le tabouret, les ciseaux crissent sur mes cheveux à une vitesse qui m’inquiète un peu. Mais alors que Stéphane me relève et me dirige vers le miroir en me demandant « C’est bien ça ? », je vois mon reflet opiner véritablement du chef, un air authentiquement réjoui illuminer mon visage et comme par contagion, le sien. Au moment de signer le chèque, je ne peux m’empêcher de demander qui est Jacques. Stéphane répond sobrement : « C’était mon père ». Les photos du coiffeur moustachu des années 50 deviennent alors bien plus qu’une décoration et ce que je viens de vivre bien plus qu’une coupe de cheveux.

Stéphanie Gernet



Retour à La Une de Logo Paperblog