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PHILHARMONIE BERLIN 2014-2015: CONCERT DES BERLINER PHILHARMONIKER dirigé par ANDRIS NELSONS le 25 AVRIL 2015 (HK GRUBER, concerto pour trompette, MAHLER, Symphonie n°5) Soliste Håkan HARDENBERGER

Publié le 10 mai 2015 par Wanderer
Berliner Philharmoniker © Monika Rittershaus

Berliner Philharmoniker © Monika Rittershaus

Demain 11 mai, nous saurons.
Le 11 mai en effet les Berliner Philharmoniker réunis pour le conclave d’où doit sortir un nouveau directeur musical, successeur au trône de Nikisch, Furtwängler, Karajan, Abbado, Rattle feront savoir leur choix. Chaque musicien est électeur, sauf ceux qui effectuent leur « Probejahr » (année de probation) dont le premier violon Noah Bendix-Balgley.
Le concert d’Andris Nelsons était d’autant plus attendu qu’il fait partie de la rose des candidats sérieux.
Les bruits courent dans Berlin, dans la presse sérieuse, chez les fans de l’orchestre on ne parle plus que de cela. La question se résumerait presque à « Thielemann ou non ? ». Christian Thielemann, berlinois, dépositaire désigné de la grande tradition allemande, est ouvertement candidat. Mais tout aussi ouvertement, chacun se positionne pour ou contre, tant l’homme fait discuter, avec ses opinions politiques tranchées (à droite toute) et l’autoritarisme qu’on lui prête. TST : « tout sauf Thielemann », semblent dire d’autres, mais le choix est difficile, car les candidats possibles ne sont pas si nombreux et Thielemann est un grand musicien. Dans la génération de Thielemann, disons les 50-60, la plupart des possibles – ils sont peu nombreux, sont déjà pourvus, ou n’ont aucune chance. Alors on va chercher ou plus jeune (et justement Nelsons), ou plus vieux (on a parlé d’Haitink, de Jansons, de Barenboim, voire de Chailly, qui est le plus jeune des plus vieux). En fait la presse a déjà fait sienne l’opinion selon laquelle les jeunes de la génération actuelle, de bons voire grands chefs (30-45), très nombreux pour le coup, sont encore trop jeunes pour accéder au trône d’Herbert. Alors on bruisse d’une solution de transition, un Daniel Barenboim plusieurs fois candidat malheureux mais berlinois depuis 20 ans à la tête de la Staastkapelle Berlin, et de la Staatsoper de Berlin, un Mariss Jansons, qui avait refusé la charge pour raisons de santé à la démission d’Abbado, et qui cette fois-ci avait déclaré clairement « qu’on n’avait qu’à attendre le 11 mai », mais qui vient à peine de prolonger son contrat avec l’orchestre de la Radio Bavaroise jusqu’à 2021. Bernard Haitink, d’une très grande énergie, semble malgré tout exclu, il a 86 ans. Riccardo Chailly, 62 ans, à la tête d’un des grands orchestres de tradition, le Gewandhaus de Leipzig, pourrait avoir des chances d’outsider et il a fait des concerts remarqués ces derniers temps. Bref, le totodirettore comme diraient les italiens bat son plein.
Mais déjà les spectateurs du concert du 25 avril avaient arrêté leur opinion. Autour de moi j’entendais beaucoup de spectateurs parler de Nelsons comme Nachfolger (successeur) désigné. Mais au conclave, on entre pape et on ressort cardinal.

Il reste que la série de trois concerts qui s’est close le 25 avril (au programme, HK Gruber, concerto pour trompette, avec Håkan Hardenberger qui en est le créateur, et la Symphonie n°5 de Mahler) a été un des grands succès, un des grands triomphes de la saison.
Le concerto pour trompette est une pièce très contrastée, qui commence piano voire pianissimo, en un long son monotone (influence du minimalisme ?) et qui se termine jazzy rappelant de belles pages de Bernstein. Incroyable la prestation de Hardenberger avec ses trois instruments nécessaires pour le concert, une trompette normale, une trompette baroque et une trompette « corne de vache » (Kuhhorn), petit instrument au son naturel qui surprend. L’artiste est capable de tout, et l’on a rarement entendu tant de facilité, et tant de justesse en même temps, mais aussi tant d’engagement (il est vrai qu’il est le créateur de l’œuvre) . H(pour Heinz) K (pour Karl) Gruber est un compositeur viennois qu’on qualifie de post romantique, néoclassique ou néoviennois, voire néotonal. Dans ce concert, l’instrumentiste doit produire des sons très contrastés, très différents, pas toujours très propres ni nets, mais en même temps l’orchestre sonne tantôt comme dans certaines pièces de Steve Reich (la première partie, largo) et tantôt comme pour West Side Story ou Wonderful Town, une pièce pour Sir Simon Rattle, , le grand écart, qu’Andris Nelsons ne peut que diriger en connaisseur : il a été un trompette solo de talent. Il en résulte un moment un peu fou, où l’incroyable virtuosité demandée au soliste fait face à la tout aussi incroyable ductilité demandée à l‘orchestre qui doit tour à tour dessiner des ambiances radicalement différentes, qui fait dire à certains auditeurs que tout cela est un peu déjanté, mais finalement pas si désagréable à suivre. En tous cas, les Philharmoniker jouent le jeu en s’amusant presque, en tous cas, la joie de jouer est visible.
Il y a partout dans le monde des spectateurs si curieux qu’ils évitent le hors d’œuvre constitué par la pièce contemporaine et n’arrivent que pour le plat de résistance, ici la Symphonie n°5 de Mahler. La salle est donc encore plus remplie en cette deuxième partie.
Il est vrai que le 5ème de Mahler est un des grands must du répertoire, et qu’Andris Nelsons a bâti sa réputation entre autres sur des interprétations mahlériennes de grande envergure. Son Mahler est d’une très grande clarté, très brillant aussi dans une œuvre qui n’est pas dépourvue d'un certain clinquant, c’est clair dès le début du 1er mouvement, une Trauermarsch certes pathétique, tendue, et solennelle, où il y a une sorte d’écho profond entre les violoncelles (qui rappellent Brahms) et les cuivres. Dans une symphonie qui oscille entre l’épreuve de la mort que Mahler vient d’effleurer et la victoire finale de la vie, au dernier mouvement, Nelsons donne une très grande homogénéité de ton, grave mais jamais vraiment funèbre, il y a tension mais toujours espoir, les moments les plus ouverts et les plus clairs respirent de manière incroyable. Il faut saluer ici la magnifique prestation des cuivres et notamment des trompettes, au son littéralement fabuleux, les dernières mesures du 1er mouvement sont proprement phénoménales. Le second mouvement, plus dynamique, plus dramatique,  propose des moments à la fois brillants et paradoxalement tendus : Nelsons a su préserver les aspects contradictoires de l’âme mahlérienne, à la fois lumineuse et sombre: les dernières mesures avec les bois dialoguant avec le reste de l’orchestre et le son s’effaçant progressivement sont créatrices d’une très grande émotion que l’on perçoit en salle, tant l’attention est proprement suspendue.
On attendait aussi le 3ème mouvement , plus ouvert, plus lumineux, plus positif avec les interventions phénoménales, uniques, de Stefan Dohr au cor (déjà, avec Abbado à Lucerne), ce monumental scherzo est l’un des moments les plus intenses de toute la symphonie, dont c’est le centre de gravité. Il y a comme une « légèreté grave », si l’on peut me permettre cette expression paradoxale. Certes, la musique évoque les chants populaires, les rythmes danubiens, les danses paysannes, sans l’ironie grinçante qu’on peut entendre dans d’autres symphonie, et Nelsons emporte son orchestre dans la joie du son et de la musique purs, sans arrière pensée, en un rythme dansant et ouvert, lumineux, avec des pizzicati d’une incroyable portée émotive, surtout après un cor époustouflant. La dynamique n’est jamais démentie,dans une fluidité étonnante et presque naturelle, sans effets surajoutés : les violoncelles et les contrebasses sont bouleversants, les cors chavirants. Un immense moment.

Il sait aussi retenir le son, et proposer des moments d’un très grand lyrisme, l’adagietto fameux est ici interprété avec une profondeur, une sensibilité que j’ai rarement entendues. Les gens de ma génération sommes tellement marqués par Visconti que cet adagietto est toujours un moment difficile où se surajoutent des images du film et cet écho perturbe. Ici, l’impression est celle d’une extraordinaire harmonie entre la musique, les souvenirs, et l’émotion profonde qui s’en dégage. J’avoue que j’ai totalement adhéré à cette « romance sans paroles » comme l’appelle Henry-Louis de La Grange en allusion au recueil de Verlaine, contraste avec ce qui précède et en même temps encore manifestation positive de l’élévation amoureuse de l’âme. Nelsons sans jamais appuyer, sans jamais exagérer ni s’adonner à une complaisance sentimentale, en donne ici une des plus magistrales interprétations (harpe merveilleuse, comme souvent, de Marie-Pierre Langlamet), par une retenue et une élégance inouïes.
Le rondo final, dont la critique a beaucoup discuté, joie totale? Joie artificielle? Triomphe en trompe l’œil, est une démonstration d’abord de la force extraordinaire de cet orchestre, de sa vitalité, de son énergie explosive comme si des forces telluriques étaient libérées. L’énergie du chef est communicative, mais jamais démonstrative au sens où il faudrait faire de l’effet. La lettre du texte musical est respectée, avec ses ambigüités, avec ses élans, avec son incroyable force.
J’aime dans ce dernier mouvement l’utilisation qui est faite des Maîtres Chanteurs et de toute la dernière partie du dernier acte, avec sa joie intrinsèque et en même temps le sérieux de l’affirmation wagnérienne de la grandeur de l’art (allemand ou non). Il y a dans ce dernier mouvement de la 5ème une extraordinaire affirmation de vitalité créatrice, un bouillonnement que l’orchestre ici souligne. Nelsons fait bouillonner l’orchestre et le propulse à des niveaux d’énergie rarement atteints, tout en ne lâchant jamais la bride, mais en donnant les impulsions justes ; par exemple dans les quatre dernières minutes, il y a des moments allégés, où se répondent les cordes et les bois, d’une fraîcheur inouïe, qui finissent par crescendo en une explosion ouverte, positive, presque solennelle, qui procure une joie profonde, sans parler de l’extraordinaire tourbillon final qui laisse di stucco un public en délire immédiat.
Exécution anthologique ? On en est bien proche. Il y a longtemps (depuis qui vous savez) qu’on n’avait entendu un Mahler pareil. Et on est d’autant plus heureux d’entendre Nelsons à Lucerne dans la même symphonie avec l’orchestre d’Abbado les 19 et 20 août prochains. Il a démontré s’il en était besoin qu’il est vraiment le plus doué de sa génération, aussi à l’aise à l’opéra qu’au concert et qu'il est digne de la papauté berlinoise. Certains lui reprochent une gestique peu élégante et trop démonstrative, mais quand en sortent ce son-là et cette profondeur-là, il n’y a rien à dire : il n’y a qu’à écouter…

PS: On peut retrouver ce concert sur le Digital  Concert Hall (https://www.digitalconcerthall.com/en/home) et l'écouter pour un prix modique

Andris Nelsons ©Marco Borggreve

Andris Nelsons ©Marco Borggreve


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