Vincente Clergeau, critique littéraire nous propose sa première chronique littéraire pour un roman qui a récemment obtenu le Prix Kourouma 2015 au salon du livre de Genève...
Le roman se déroule à Kaleb, ville imaginaire, qui rappelle le Mali, Alep, ou d'autres lieux en proie à la violence. La scène d’ouverture frappe le lecteur par sa violence: deux jeunes gens, Lamine Kanté et Aida Gassama, dix huit ans, pris en ébats nocturnes, sont condamnés à recevoir trois balles, parce qu’ils n’ont pas voulu renier leur amour. D’emblée, nous sommes confrontés à la violence et à la réaction de la foule.
Le roman relate une guerre vécue de l'intérieur. La ville de Kaleb, abandonnée par les forces armées depuis quatre ans, est occupée par les soldats intégristes de « la Fraternité », sous le commandement d’Abel Karim Carbonaté, chef politique et religieux. Il a instauré la loi fondamentale, avec interdiction de tout trait de culture occidentale. Fermeture des bars ; interdiction de l’alcool ; chiens brûlés ; ville désertée ; patrouilles nocturnes, mère de famille fouettée pour ne pas avoir mis son voile, autant de faits qui s’égrènent et créent une tension romanesque.
Un médecin, Malamine, décide de publier un journal pour opposer une forme de résistance à la violence vécue quotidiennement, il trouve des compagnons de lutte, Déthié, professeur et sa femme, Codou, le vieux Faye, Madjeen, Alioune et le propriétaire d’un bar, le Janbaar, le vieux Hadji, dont la cave sera le lieu où sera fabriqué le journal.
La famille de Malamine, marié et père de trois enfants, a vécu un drame, qui sera révélé à la fin du roman. L'auteur tisse habilement les fils de l'intrigue et maintient le lecteur en haleine, jusqu’au dénouement final.
Le personnage d’Abdel Karim Carbonaté est cependant en proie à des déchirements : il éprouve une forte attirance pour la femme de Malamine.
De nombreux thèmes de réflexion émaillent le livre et posent la question de la réaction ou de la résistance face à un régime autoritaire : Comment un pouvoir peut-il parvenir à embrigader les esprits ? A partir de quel moment, l’opposition se manifeste-t-elle ? Que fait-on de la peur ? Qu’est-ce que la Vérité, la Justice ? Si le pouvoir des mots apparaît très fort à travers la symbolique du journal, il n’en reste pas moins que l’engagement des intellectuels et de la responsabilité de leurs actes se pose en raison des effets induits: la répression s’abat sur tout le monde, même les innocents. Peut-on lutter au nom de tous ? A-t-on le droit d’entraîner les autres dans ce combat ?
L'auteur souligne la complexité des situations et des personnages. Aucun manichéisme. Tous ces grands mots tels que le courage, la dignité, la justice, la résistance, paraissent de vains mots face à la réalité de la guerre vécue de l’intérieur.
« La guerre est une entreprise de destruction par altération du langage . Une aliénation pure et simple ».Les échanges épistolaires entre les mères des jeunes gens, Sadobo et Aissata, rythment le roman et créent une sorte de résistance intérieure, face au drame survenu. Ces échanges sont empreints de lyrisme. Le roman se promène entre deux temps : le présent de violence et de terreur et un temps passé où régnait la liberté.
« Terre ceinte » laisse une impression d’enfermement, un lieu clos, assiégé par les islamistes. Ce roman est d'une brûlante actualité, aujourd'hui. Cette guerre sainte est menée au nom de l’Islam, mais quel islam ? Le personnage d'Abdel Karim n'est pas un fanatique aveugle, mais il n'en est que plus dangereux, car il est inébranlable dans ses convictions : il est convaincu de détenir la Vérité et la Justice. La guerre est pour lui, une épreuve de foi. « Ce n’est pas un homme de devoir, mais le devoir fait chair ».
L’amour irrigue le roman à travers trois relations de couples et il y a un équilibre entre la violence, l’oppression et l’amour, ce qui fait la force du roman.
Vincente Duchel-ClergeauTerre Ceinte
Éditions Présence africaine, première parution en 2015Copyright photo - Stand des livres et auteurs du bassin du Congo