Saison 1
Une série créée par Éric Rochant
Cela se dit depuis longtemps, les séries françaises sont meilleures et meilleures, d’années en années, grâce à la volonté, dans son programme « Créations Originales », de Canal +, de toujours proposer des séries originales, bien jouées (et c’est tout de même une qualité dans notre paysage télévisuel), et bien écrite.
Sans jamais proposer une mise en scène réellement originale, mais plutôt classique et efficace, Le Bureau des Légendes a tout de même une place de choix dans l’écurie Canal +, de par le traitement réaliste d’un sujet difficile, de par son casting littéralement flamboyant, de par sa construction dramatique incroyablement maîtrisée.
© Top – The Oligarchs Productions Federation Entertainement Xavier Lahache Canal+
Le Bureau des Légendes est le service le plus secret des services de la DGSE. C’est celui qui s’occupe d’entraîner et de suivre des agents envoyés sur le terrain dans la plus grande clandestinité (on les appelle d’ailleurs les clandestins, ou les « clandés ») sous une autre identité montée de toute pièce : leur « légende ». La série tente de rendre compte de leur travail au travers de l’histoire de Guillaume Debailly, alias Malotru (nom de code), qui a du mal, selon des conjectures personnelles et extérieures, à quitter sa légende de Paul Lefebvre, professeur de français à Damas.
Joué par Mathieu Kassovitz, qui prouve à nouveau qu’il est un grand acteur dans sa manière de déployer un jeu à la fois tendu et incroyablement maîtrisé, le personnage principal de la série est passionnant, toujours impressionnant dans sa faculté à gérer les situations de crise au sein de son travail d’agent de la DGSE, tout en devant gérer à côté son ancienne identité en le cachant à son supérieur hiérarchique. Ce supérieur, Henri Duflot, est lui aussi interprété brillamment par un Jean-Pierre Darroussin trouvant une alchimie parfaite entre le chef d’équipe incroyablement consciencieux (sa position l’y lui oblige) et le père de famille affectueux.
Car c’est là que réside l’une des grandes forces de la série qui tend à faire du Bureau des Légendes à la fois un lieu où se jouent et se déjouent de graves crises qui peuvent avoir des conséquences diplomatiques désastreuses, mais aussi un endroit où toute l’équipe constitue une vraie famille soudée, affectueuse et se soutenant les uns les autres selon les moments. Car chaque clandé, en poste ou en devenir, a un agent veilleur, qui, comme son nom l’indique, est celui qui veille non seulement à la bonne conduite de la mission confiée, mais qui devient aussi l’ange gardien de son protégé, le connaissant dans les moindres détails, devenant son confident et, quand il le faut, prenant le rôle de son meilleur ami ou celui de ses parents, en l’orientant à nouveau sur le droit chemin lorsque ce dernier l’a quitté.
Dans cette dimension du récit, là encore, la dernière production Canal + doit beaucoup à ses comédiens et à leur interprétation subtile. Jonathan Zaccaï et Florence Loiret-Caille interprètent ces deux rôles de manière cohérente et surprenante, chacun étant une facette différente du métier : lui est miné par l’impossibilité de ne pas pouvoir protéger son agent de terrain, elle est sûre d’elle, rigoureuse dans l’entraînement de sa future protégée.
Car la série joue tout le temps sur la fonction très importante de ses personnages, de leur présentation et manière d’être. La réelle révélation du Bureau des Légendes, Sara Giraudeau, joue justement sur cette ambivalence. Son personnage, Marina Loiseau, a l’apparence physique qui s’apparenterait à son nom d’animal. Mais derrière son attitude frêle et sa voix de petite fille, se cache un agent déterminé, dont les regards ne sont jamais innocents et toujours analytiques, seuls révélateurs de sa double-identité, de jeune sismologue ayant pour objectif de se faire engagée pour travailler en Iran.
© Top – The Oligarchs Productions Federation Entertainement Xavier Lahache Canal+
Au delà de son casting, Le Bureau des Légendes est aussi une très belle série de scénario, qui évite et détourne sans cesse les écueils de son sujet. Jamais Éric Rochant et son équipe ne tombent dans la facilité d’exprimer l’histoire en passant par des séquences d’action, préférant plutôt la psychologie et les manœuvres dissimulées qui, sans cesse, tendent vers une représentation qui se voudrait réaliste. En réalité, il ne sera probablement jamais possible de vérifier la véracité des faits, mais en évitant de faire de ses espions des super-héros, en leur donnant des failles, en les ancrant dans la vie de tous les jours, la série tend vers un traitement qui se veut au plus proche du réel. Réalisme qui permet une véritable empathie avec des personnages qui ne sont finalement pas si éloignés de nous.
Mais Le Bureau des Légendes ne donne pas seulement à voir, mais aussi à écouter, restant proche d’un vrai travail d’analyse inhérent à la fonction de clandestin, de veilleur, ou de décideur. Cette dimension analytique, la série la trouve assez justement dans le personnage de Léa Drucker, psychiatre appelée pour sonder sources et clandestins pour vérifier leur intégrité psychologique, leur résistance. La première saison de la série en joue souvent, amenant même très rapidement une dimension nouvelle au récit qui veut que Guillaume Debailly raconte lui-même son histoire. Sans jamais tomber dans une voix off trop rébarbative, là encore l’équipe de scénaristes trouve un procédé original qui tend réellement cet arc narratif, n’en faisant non pas une voix off ayant la seule utilité d’approfondir le sujet, mais une vraie ouverture narrative, présentant Malotru face caméra, racontant cette histoire sous détecteur de mensonge.
Avec ce choix, l’équilibre est maintenu et jamais la série ne se résumera à la question dramatique de savoir dans quels draps s’est mis le héros. Le Bureau des légendes prouve là encore sa faculté rare à toujours raconter une histoire complexe sans jamais faire le choix d’en résumer l’essence narrative à la destinée d’un seul des personnages, tout en proposant une ligne narrative principale liant le tout. Cela paraît pourtant basique, mais il faut reconnaître à Rochant et son équipe une certaine virtuosité dans le traitement qui nous est finalement donné à voir. Car, au final, en introduisant cette ironie dramatique, les auteurs nous rappellent que le vrai objectif du récit est, non pas la destinée de ce personnage, mais bel et bien le fonctionnement du bureau secret. Le récit de Debailly/Malotru/Lefebvre est en partie désamorcé, car sa fin en partie révélée.
© Canal+
Le Bureau des Légendes est une belle série télévisée à découvrir, souvent classique, mais réellement et profondément intelligente, passionnante et divertissante. La volonté d’Éric Rochant étant de travailler à « l’américaine », préparant déjà le tournage de la saison 2 afin qu’elle soit sur nos écrans dès l’année prochaine, l’attente ne sera pas aussi longue que pour Les Revenants ou encore Engrenages. À la bonne heure !
Simon Bracquemart