Mardi, l'Assemblée nationale a fini par voter la loi sur le Renseignement. Mais c'est toute la France, son débat politique, sa classe médiatique, et ses intellectuels qui semblent "vigipiratés".
Patriot ActCe n'est pas encore un Patriot Act qui autoriserait la détention arbitraire comme dans l'Amérique paranoïaque post-11 Septembre, mais on en prend le chemin dans l'indifférence populaire la plus complète. D'après les sondages, les citoyens acceptent et tolèrent ces restrictions de liberté. A force d'être fichés par les géants et les petits du Net, nos citoyens ont comme perdu tout sens de vie privée et de réflexe démocratique.
Cette loi autorise, sans validation préalable du pouvoir judiciaire, l'espionnage généralisé pour des motifs aussi large que l'intelligence économique, l'atteinte aux intérêts de la République ou la contestation de nos institutions. On est bien loin, très loin, trop loin du terrorisme.
Pour voter cette loi, le gouvernement a même trouvé quatre députés écologistes dont l'ancien critique Denis Baupin, élu de Paris: "il fallait bien encadrer juridiquement des pratiques qui avaient déjà lieu" justifie-t-il. Le naufrage d'EELV n'en a que trop durer.
"Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux." Benjamin FRANKLIN.Quelques heures plus tard, un ancien dossier de Sarkofrance refait surface, l'affaire Coupat. De la bande de Tarnac interpelée une nuit de novembre 2008, il ne reste que 3 mis en examens, sur les 9 d'origine, qui vont être prochainement déférés devant le tribunal. Le ministère public a rendu son rapport. Il maintient une partie des accusations initiales, notamment celle de de sabotage « en relation avec une entreprise terroriste ». Sans preuve, il suppose que Julien Coupat, le "leader" du groupe, est également l'auteur de "L'insurrection qui vient", un ouvrage qui contestait la République bourgeoise. C'est forcément un nouveau sacrilège post-Loi sur le Renseignement. Et qu'importe si il n'y a pas eu d'attentat, qu'importe si le sabotage de la voie ferrée en 2008 ne pouvait déclencher de déraillement ni de victimes. Selon le ministère public, le terrorisme n'a pas besoin d'être meurtrier pour en être. Voilà où nous en sommes...
La France de 2015 laisse Eric Zemmour publier ses éructations xénophobes et racistes, mais un ouvrage anonyme prônant la révolution des pauvres suffit comme preuve à charge dans une machination sarkozyste.
La France vigipiratée a fait une autre victime que la démocratie, un sociologue. Les excès de la première ont fait déraper le second.
Il a suffit de quelques extraits bien choisis d'un pamphlet du sociologue Emmanuel Todd pour que la gauche intellectuelle se déchire dans l'une de ces joutes dont elle raffole. La polémique embarque Manuel Valls, le plan de com' de l'intello a réussi. Todd accuse les "Je suis Charlie" d'être les (in)dignes successeurs de la France vichyste et catholique. Il récuse le droit de caricature quand ce dernier s'attaque à la religion des faibles. Il s'énerve qu'on oublie les vrais sujets, précarité et exclusion d'un trop grand nombre de Français. Quatre mois après les attentats de Paris, le clash prend inévitablement de l'ampleur. La saillie de Todd contre les manifestants du 11 janvier est d'une bêtise immature et contreproductive assez crasse: elle replace l'attention médiatique quatre mois avant, sur l'exact sujet - le terrorisme islamiste - que Todd considère comme la diversion politique majeure du moment. Vendredi sur RMC, face à Jean-Jacques Bourdin, Todd débloque un peu plus dans ses comparaisons en traitant Manuel Valls de "pétainiste".
République
Le bureau politique de l'UMP a validé, à l'unanimité, son changement de nom. Le parti sarkozyste s'appellera les Républicains. On va rire. On rit déjà à l'idée de l'embrouillamini général quand chacun se s'appellera républicain autour de nos tables de débats télévisés... On rit mais on devrait pleurer en se rappelant la République exemplaire de Nicolas Sarkozy. Jeudi, la cour d'appel de Paris validait les écoutes téléphoniques de l'ex-chef de l’État, grâce auxquelles Sarkozy a pu être mis en examen pour corruption et trafic d'influence l'an passé. S'ajoute l'affaire Bygmalion sur sa fraude aux règles de financement électoral. Car ce point est acquis - l'équipe Sarkozy a dépensé près du double du plafond légal pour tenter "d'inverser les courbes" et de faire réélire son patron. Dans leur investigation, les enquêteurs ont découvert que des clients de Bygmalion avaient même pris en charge quelques frais du (second) mariage de Jean-François Copé. Cette semaine, l'ancien conseiller en communication de sarkozy, Franck Louvrier, est resté quelques heures en garde à vue. Qu'ils sont exemplaires, ces Républicains.
La vie est belle.
Pour sa troisième bougie à l'Elysée, Hollande s'est entouré de quelques jeunes, sans tambour, ni trompettes, ni bougies. Mercredi, au Conseil économique, social et environnemental, il échange, livre une annonce, la transformation de la journée défense et citoyenneté en journée d'aide à l'orientation et à la formation. Il rappelle que la généralisation du tiers payant sera profitable aux jeunes, rarement capables d'avancer les sommes d'une consultation. Jeudi, il est dans une école pour vanter les mérites du développement du numérique en milieu scolaire. Un milliard d'euros pour équiper 70% des élèves de primaire et des collèges d'ici 3 ans.
Hollande est en campagne, déjà, pour sa réélection. Il sillonne le pays. Après une rapide cérémonie d'hommage au 70ème anniversaire de la fin du second conflit mondial, il est parti loin, dans les Caraïbes. Un cliché à Saint Barthelemy, un autre à Saint Martin. Sa destination est Cuba, une visite historique à plusieurs égards.
Affaires
Nicolas Sarkozy s'invite dans les colonnes du Figaro pour fustiger les "reculs de la République". Le voici qui ose: "De mémoire de citoyens, jamais la France n'avait été si profondément trompée". Ou encore: "Cet échec n'est pas seulement passif puisqu'il a personnellement contribué à ce désastre par une politique fiscale d'une brutalité sans précédent." Il ferait mieux de se rappeler d'où il vient, et où il en est encore maintenant. A trois ans de son mandat, Sarkozy était en vrac. L'ancien monarque en était à tenter de faire oublier son Bling Bling et son immaturité politique. Il avait déjà creusé de 400 milliards d'euros la dette du pays (600 à la fin du quinquennat), allégé les impôts des plus riches, insécurisé les plus pauvres, et lancé un funeste débat sur l'identité nationale. Sarkozy en 2010 plongeait la France dans le souvenir du pétainisme.
La République ne recule pas sur ce coup-là, Nicolas. Elle vient vous chercher, par la Justice.
"Cette 157ème semaine de Sarkofrance fut celle d'un triste anniversaire. Les bougies n'étaient pas là. Tout juste un petit livret d'autodéfense du bilan des 3 ans de Sarkozy à l'Elysée fut-il rapidement envoyé aux médias et aux élus. Crise européenne oblige, Sarkozy promet avec Merkel une plus grande surveillance budgétaire des Etats. Et le collaborateur Fillon a dû avouer quelques mesures de rigueur. Mais qu'on se rassure, en France comme en Europe, ni les riches, ni les traders ne sont concernés." 156ème semaine de Sarkofrance, 8 mai 2010.Hollande n'a pas ces soucis. Présidentiel, il l'est. Mais seul, incroyablement seul. Le gars a claqué la porte au nez de sa gauche, persuadé qu'il l'emportera tout seul en 2017. Il a fait voter une cascade de lois détestables, inefficaces ou dangereuses. Et il est persuadé que la modernisation de la gauche consiste à adopter le programme de l'UDF des années 80.
Bref, Hollande a littéralement neutralisé la politique.
Rivalités
Le même 6 mai, Manuel Valls a une curieuse initiative. Il fait publier "l'agenda des réformes", un site interactif pour faire la promo des actions... de l'équipe Valls. La démarche est sourire, plutôt qu'un bilan argumenté des trois premières années du quinquennat, l'équipe dégaine au contraire un état promotionnel des actions de l'équipe ... Valls. Comme si la présidence Hollande avait débuté ce jour révélateur de la nomination de Valls à Matignon, au printemps 2014.
Exit Jean-Marc Ayrault. Manuel Valls lit avec plaisir et satisfaction l'avance sondagière que les enquêtes d'opinion lui donnent sur François Hollande et même Nicolas Sarkozy pour 2017. Et il a un temps devant lui que les autres n'ont pas.
L'interface permet de filtrer les résultats de recherche par thème. Si l'utilisateur s'arrête sur la réduction des inégalités, le bilan est maigre, très maigre, incroyable maigre: pour faire bonne figure, Matignon y a classé tous les efforts de la jeune ministre de l'Education nationale. Najat Vallaud-Belkacem se prend des coups en cascade, de sa gauche et de sa droite. Elle a annoncé une réforme des programmes du collège qui attire toutes les caricatures, même les plus répugnantes, entendues sur quelques radios nationales. La seconde contributrice à la réduction des inégalités par Valls est Marisol Touraine et ses réformes de la santé:
Cette semaine, le duo Jean-Marie/Marine termine son divorce en public. Lundi, le comité central du FN suspend le président d'honneur de son adhésion au parti devenu mariniste. Le patriarche est en rage, le cirque s'étale dans les gazettes. Jean-Marie enjoint Marine de se marier rapidement pour qu'elle change de nom. Vendredi, il publie le long réquisitoire qu'il a livré devant la quarantaine de cadres du parti. Une semaine avant, l'extrême droite s'excitait sur l'islamisation des pizzas, sans rire.
"Ce sont les événements qui nous rallient l’opinion de nos concitoyens." Jean-Marie Le Pen, 4 mai 2015
Le meilleur atout de Hollande est le retour de la croissance en Europe. Ce dernier lui permet, à bon compte, de faire encore un peu d'interventionnisme. Après Renault, l'Etat augmente aussi sa participation dans Air France pour imposer les droits de vote double à la prochaine AG. Cette disposition permet de sécuriser l'actionnariat national. Cet interventionnisme est minimaliste. La filière nucléaire est en crise. Le nucléaire français tourne au fiasco. Areva, cette semaine, annonce 6.000 suppressions de postes. A Flamanville, l'EPR coûtera au moins 5 milliards d'euros de plus que prévu. Rien que cela...
Cette croissance économique, la Grèce espère en profiter si elle parvenait à déserrer l'étau de ses créanciers. Au Royaume Uni, cette reprise, qui laisse des millions de nouveaux et anciens précaires sur le carreau, a permis la réélection surprise du conservateur David Cameron. Ce résultat rappelle aussi à tous que les sondages sont incertains. Nos voisins britanniques vont-ils rester européens ? La question est posée avec plus d'acuité qu'auparavant.
Cette reprise économique, en France, est modeste. Hollande veut croire et faire que ses (contre)réformes depuis 2013 (CICE, pacte irresponsable, assouplissement du code du travail, loi Macron) sont autant d'accélérateurs à disposition des entreprises françaises pour que le pays reparte.
Juste à temps pour le Grand Scrutin de 2017.