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Le MuCEM : un modèle à suivre ?

Publié le 07 mai 2015 par Aude Mathey @Culturecomblog

Par BRENAC (Travail personnel) , via Wikimedia Commons

Le MuCEM de nuit (Par BRENAC , via Wikimedia Commons)

A l’heure où c’est un autre musée national, le musée des Confluences, qui attire l’attention par son ouverture récente et son coût jugé excessif qui en fait le « musée le plus cher de France« , le MuCEM de Marseille poursuit tranquillement sa success story. Après son inauguration en grande pompe en 2013, pendant les festivités de Marseille-Provence 2013 Capitale européenne de la culture, ce musée de société connaît toujours une fréquentation à faire pâlir certains musées parisiens, soutenue par une politique des publics ambitieuse.

Afin de mieux comprendre comment le MuCEM a construit ce succès dans une ville qui, malgré son statut de carrefour des civilisations, n’avait pas de vraie tradition muséale, nous avons interviewé la responsable du département des publics, Cécile Dumoulin.

Quel a été votre parcours professionnel avant de rejoindre le MuCEM ?

J’ai commencé par suivre un parcours universitaire plutôt classique, avec une licence d’histoire de l’art, puis une agrégation de lettres.
Mon premier contact avec le monde des musées s’est fait en entrant au musée du Louvre, où j’ai été en charge des relations avec l’éducation nationale pendant 4 ans. Cette première expérience m’a plu, et je suis ensuite entré au Quai Branly avant son ouverture, pour développer sa politique des publics durant 7 ans.
C’est donc logiquement que je suis arrivée au MuCEM en 2011, toujours avant son ouverture, pour devenir responsable des publics, poste que j’occupe à présent depuis 5 ans.

Le MuCEM a été nommé Musée de 2015 par le Conseil de l’Europe, et sa fréquentation, deux ans après son ouverture, reste très bonne. Comment expliquez-vous ce succès  ?

Pour répondre à cette question, nous avons mis en place des études de satisfaction qui nous permettent d’avancer certains points :

  • Pour commencer l’emplacement du MuCEM est très attractif : au carrefour entre le quartier historique et le futur quartier Euroméditerranée, il est le symbole d’un pont entre la culture marseillaise traditionnelle, et un côté plus ouvert sur l’ailleurs, plus moderne. De plus il prend place sur l’ancien site portuaire de la Joliette, ce qui matérialise le lien entre Méditerranée et Europe.
  • Cette forte attractivité du site induit un phénomène propre au MuCEM, qui est que 2/3 des visiteurs se contentent d’entrer dans les espaces, sans visiter les expositions, ce qui nous a été reproché. Mais ça ne nous pose pas de problème du tout, étant donnés les chiffres de fréquentation : en 2014, sur 2 millions de visiteurs du site, 650 000 viennent dans nos expositions, ce qui est largement supérieur à nos projections initiales de 350 000 visiteurs par an.
  • Ce succès de fréquentation nous réjouit d’autant plus que ces dernières années, contrairement aux années 1980, Marseille ne brillait plus pour sa culture. Le MuCEM est donc venu combler un vide, en devenant un lieu emblématique de la culture dans la ville. Alors qu’on parlait toujours de leur ville pour de mauvaises raisons, le statut de capitale européenne de la culture et l’ouverture du MuCEM ont amené un nouveau sentiment de fierté chez les Marseillais.

Lors de sa prise de fonction, Jean-François Chougnet a affirmé que le MuCEM ne devait pas devenir un musée dédié aux touristes, et que l’accent allait surtout être mis sur le public local. Est-ce toujours le cas, ou le public international reste-t-il une cible du musée ?

Cette déclaration correspondait à l’identification d’un risque pour le musée, du fait du statut de Capitale européenne de la culture : on avait peur d’être considéré comme un objet purement touristique, ce qui pouvait faire fuir les Marseillais. En réponse, notre objectif était donc d’atteindre un équilibre entre public locaux et publics touristiques.
Pour cela nous avons mis en avant des éléments de reconnaissance culturels, comme le Fort Saint-Jean, qui était auparavant fermé au public. On a également mis en place des portes ouvertes avant l’ouverture, ainsi que les « mardis du MuCEM« , des conférences données par de grands intellectuels européens. Nous avons aussi utilisé le « studio photo du MuCEM », studio photo itinérant qui proposait aux gens de se faire photographier avec un objet en lien avec la Méditerranée. Nous avons récolté ainsi un millier de portraits, que nous avons distribué au public et mis en ligne sur Flickr.

View image | gettyimages.com

Le résultat est aujourd’hui au rendez-vous : 49% des visiteurs viennent de la région PACA, et 51% viennent d’ailleurs en France ou à l’étranger.
Nous essayons à présent d’entretenir cette dynamique, notamment avec le « pass musée » : un pass annuel qui donne accès à tous les musées de Marseille.

Il va sans dire que la fidélisation se fait aussi par notre programmation, que nous essayons de rendre le plus riche possible.

Une des spécificités de Marseille étant sa mixité sociale, avez-vous une politique concernant le public issu des quartiers populaires ?

Oui, c’est en effet une politique que nous menons sous le terme « champ social ».

Ce qui est compliqué vis-à-vis de ce public, c’est que la gratuité ne suffit pas : nous devons effectuer du travail qualitatif, sur mesure, et à long terme, car ils sont très loin de ces pratiques muséales qui leur font peur. Ainsi, on met en place d’autres actions en partenariat avec des centres sociaux, des maisons pour tous, et différents types de structures.

Chaque année on essaie de définir une opération en particulier pour cibler ces publics.
Par exemple, l’année dernière on a mené une grosse opération, appelée « Mixfood », en lien avec l’exposition « Food », une exposition d’art contemporain.
On a commencé l’opération avant l’exposition, en avril 2014, en ciblant 4 quartiers en particulier. On a travaillé avec une association, en faisant venir des adhérents d’association pour leur faire découvrir le musée, les réserves, et discuter avec les conservateurs sur le sujet de la nourriture. On leur a montré des objets liés à l’exposition, et on leur a demandé de collecter des objets manquants et des recettes. Ça a permis de leur montrer à la fois le travail du conservateur et le travail du créateur.
On a réalisé ensuite une série de « banquets », pour faire un travail d’animation autour des objets récoltés et des recettes. On a également mis en ligne les recettes sur Tumblr, pour servir d’amorce afin de travailler avec le grand public, sachant que chacun pouvait contribuer avec sa recette.
Ce travail a continué pendant l’exposition, puisque les objets collectés ont été exposés. On a également distribué aux participants (autour de 1 000 personnes) une carte ambassadeur qui leur permettait de venir à l’exposition « Food » à tout moment avec la personne de leur choix.

Cette année l’exposition choisie s’appellera « J’aime les panoramas » autour de la photo de panoramas. Ce choix est dû au fait que même si les publics vivant dans les quartiers sensibles manquent de beaucoup de choses, ils disposent en abondance de ce que beaucoup n’ont pas : la vue en hauteur.

Vous venez de parler d’un certain nombre de dispositifs utilisant les médias numériques : justement, quelle est leur place dans votre stratégie de développement des publics ?

Nous travaillons beaucoup avec le service « nouveaux médias », en ciblant des catégories de publics identifiés sur des projets lancés, avant d’ouvrir au grand public, sur le modèle de l’exposition « Food ».

Concernant les réseaux sociaux, notre stratégie n’est pas de capter plus de public que nous en avons déjà, mais de rajeunir l’image du musée, de montrer que c’est un musée dynamique, tout en suscitant l’intérêt, le questionnement…

D’ailleurs dans nos études sur la manière dont les publics découvrent le musée, les réseaux sociaux et le site institutionnel sont parmi les plus faibles. On voit ainsi qu’ils ne sont découverts qu’a posteriori, et fonctionnent plutôt comme amplificateurs et modification d’image.

La page Facebook du MuCEM et ses 86 000 fans

La page Facebook du MuCEM et ses 86 000 fans

Certaines de vos expositions abordent parfois des sujets politiquement sensibles susceptibles de faire réagir. On pense notamment au sujet du genre, ou des religions. Est-ce que c’est un aspect auquel vous pensez dans la politique des publics ?

On voit qu’il y a une attente envers le MuCEM, qui est considéré comme un lieu légitime pour tenir ce genre de débat. Ce n’est pas un lieu de certitude, mais de questionnement, même s’il faut préciser que la position du musée sur ces questions est celle de l’État : elle est républicaine, laïque, et non militante.

On observe rarement des débordements, même pendant l’exposition sur le genre, « Bazar du genre », qui a pourtant eu lieu pendant les polémiques sur le mariage pour tous. De manière étonnante, on a surtout eu des réactions sur une œuvre représentant une femme torera en talons aiguille qui tenait une marmite, symbolisant le mélange entre les stéréotypes de l’homme et de la femme. Et les critiques ne sont pas venues anti-genre, mais des anti-corridas !

Peut-être qu’il y a de toute façon moins de personnes aux opinions tranchées qui visitent les musées de société, pour éviter d’être dérangées dans leurs convictions.

C’est pour ces raisons que nous n’avons aucun complexe à aborder ce type de problématiques, par exemple dans notre exposition à venir, « Lieux saints partagés », qui porte sur les lieux de culte partagés entre plusieurs religions monothéiste. http://www.dailymotion.com/video/x2ok44b


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