Nouvelle adaptation du roman d’Albertine Sarazin après celle de Guy Casaril en 1969, L’astragale est le nouveau long métrage de Brigitte Sy et le film de la consécration pour Leila Bekhti.
Ce qui frappe d’emblé et semble incontestable, c’est la tendresse de la cinéaste à l’égard du roman d’Albertine Sarazin. Brigitte Sy a lu le roman, entendons par là qu’elle l’a lu avec les tripes, qu’elle s’est laissé habiter par la douce mélancolie et la douceur si poétique de ce bouleversant roman. Albertine Sarazin est une petite pépite trop oubliée de la littérature française du 20ème siècle et il était plus que temps que le cinéma s’intéresse comme il se doit à son œuvre hautement évocatrice et propice à la création d’univers visuels.
L’astragale est un petit os du pied, précisément celui qu’Albertine (Leila Bekhti) se brisera lorsqu’elle sautera le mur de la prison de laquelle elle s’échappe en 1957 à l’âge de 19 ans. Fidèle à la tradition Célinienne des petites causes pour grandes conséquences, c’est tout le destin d’Albertine qui s’en voit bousculé : à l’occasion de sa blessure elle rencontre Julien, le grand amour et la vie de fugitive. Incarcérée pour agression des suites d’un braquage qui a mal tourné, elle sera contraint, suite à son évasion, d’endosser nom d’emprunt et perruque pour déguiser son identité. Leila Bekhti était jusqu’ici plutôt cantonnée aux comédies, pas franchement subtiles, hormis un rôle dans le touchant film de Cedric Kahn, Une vie meilleure. C’est avec plaisir que nous la voyons ici éclore comme un oisillon fragile et délicat, sorte de petite bonne-femme d’époque aussi vulnérable qu’opiniâtre. Face à elle, le désormais incontournable Reda Kateb, confirme qu’il est définitivement l’un des meilleurs comédiens du moment (il sera à l’affiche du prochain long métrage de Wim Wenders et vient de recevoir le prix Patrick Dewaere, après son césar du meilleur second rôle pour sa performance dans Hippocrate). Brigitte Sy possède un vrai talent de directrice d’acteur totalement au service des nombreux seconds rôle tous aussi impeccables les uns que les autres, et en particulier la cadette de la famille Garrel, Esther.
Le noir et blanc pour lequel a opté la cinéaste aurait pu être un gadget, une facilité de contextualisation. Plus qu’un outil pour nous plonger dans les années 1950-60, le noir et blanc soyeux du film fait corps avec la tendresse et la beauté du roman de Sarazin, l’image se faisant écho du style de l’écrivaine : esthète bien que sobre. Grâce à un montage qui n’hésite pas à bousculer la narration avec des sauts dans le temps, le rythme oscille entre un caractère plutôt langoureux, parfois contemplatif, mais ne laisse pas de côté le suspens de cette histoire de passions amoureuses, faites de multiples rebondissements (cavales des uns, arrestations des autres, adultères, déceptions, retrouvailles…).
Sans être un film qui bouscule l’Histoire du cinéma, L’astragale frappe néanmoins par son honnêteté. Pas d’artifice pour créer des émotions factice, juste une utilisation très subtile du langage cinématographique pour restituer le destin hors pair de cette femme.