Les Rouleaux que Christian Hubin déroulent, nous ancrent, nous clouent, dans une violence du dire qui nous affronte à l’au-delà du discours, son hors-champ.
Tordant le cou à la rhétorique, au poétique, l’écrire veut atteindre à ce qui n’est pas le jour, pas « soi », ni le corps ni la tête, mais une antériorité de l’espace-temps qui est son présent : un trou noir.
Inaccessibles à toute croyance, à toute possible déception sont les énoncés de ces Rouleaux puisque rien ne semble pouvoir s’y ajouter ou retrancher. Ils sont intermittences, fractions d’où surgit, là où ne parle, ne pense ni même s’efface, la langue qui nous tisse : « Image matricielle qui revient, engendrant, happant toutes les autres », sans commencement ni fin, abolissant l’illusion d’un ego qui pourrait l’infléchir en un style.
Rouleaux hérétiques que ce texte sans objet, pas même celui de son engendrement qu’une certaine littérature exhaussait… Car il fait apparaître un réel que rien ne peut circonscrire mais que le vocable, la formule poétique frôlent. Un bord entre l’espace et la durée, le dehors et le dedans, l’infini et l’infime ?
Peut-être cet impossible que nos sociétés scientifiques veulent résoudre : ce qui nous sépare du discontinu de la matière ?
Car Hubin nous mène jusqu’au démuni, ce qui nous destitue, là où manque à dire le langage, dans un hoquet entre silence et son.
Peut-être est-ce cela qui nous nomme : un trou ?
Si notre « identité » est aujourd’hui exaltée par les gloses, les passages à l’acte, les concepts, elle n’est peut-être que l’appel naïf d’une réponse ?
Alors il faut dire la langue d’avant les discours, là où s’entend le muet en sa sidération, le lieu de l’éruption d’une lave dont on ne peut s’extraire, mais simplement éprouver l’incandescence.
Là insiste en effet une question : qu’est-ce que « poème » ?
« un son, tu biseauté » ?
« la sueur d’une sorte de deuxième espèce sous la peau » ?
« par à coups, une sonde à induire le réel » ?
Saurons-nous être seul ? Saurons-nous nous tenir devant le poème de Christian Hubin dans « tout le hors-champ seul, frémi » ? Terrifié d’une posture aussi radicale. Sans doute est-elle la seule à tenir « à l’avant » du murmure étouffant, nauséeux qui bientôt nous engloutit ?
Celui même que chacun appelle, afin de mieux se laisser aller au sommeil…
Alors peut-être devons-nous apprendre à mieux entendre ces hoquets de poésie qui nous transpercent, nous désengluent, nous obligent- sans point d’appui…
Nous laissent dans un monde sans dieux, « ruines hébétées » mais debout dans la seule force du vivre.
[Esther Tellermann]
Christan Hubin , Rouleaux, 2015, Fourmagnac