L'innocence des bourreaux de Barbara Abel 3,75/5 (04-05-2015)
L'innocence des bourreaux (320 pages) sort le 15 mai 2015 aux Editions Belfond (collection Thriller).
L’histoire (éditeur) :
Dans une supérette de quartier, quelques clients font leur course, un jour comme tant d'autres. Parmi eux une jeune maman qui a laissé sa fille de trois ans seule à la maison devant un dessin animé. Seulement quelques minutes le temps d'acheter ce qui manquait pour son repas.
Parmi eux, un couple adultère, parmi eux une vieille dame et son aide familiale, un caissier qui attend de savoir s'il va être papa, une mère en conflit avec son adolescent...
Des gens normaux, sans histoire, ou presque.
Et puis un junkie qui, à cause du manque, pousse la porte du magasin, armé et cagoulé pour récupérer quelques dizaines d'euros. Mais quand le braquage tourne mal et que, dans un mouvement de panique, les rôles s'inversent, la vie de ces hommes et femmes sans histoire bascule dans l'horreur.
Dès lors, entre victimes et bourreaux, la frontière est mince. Si mince...
Mon avis :
Ce qu’il y a de bien avec Barbara Abel, c’est qu’avant de vous entraîner dans l’horreur de situations extrêmes, mais raisonnablement plausibles, elle nous fait d’abord entrer dans la vie des personnages, des gens ordinaires qui du jour au lendemain se retrouvent confrontés à l’impensable. Alors forcément, une fois que vous êtes dans leur vie, que vous connaissez leurs pensées et que vous faites une idée sur eux, que vous vous identifiez même, ce qui leur arrive par la suite prend une dimension différente, plus marquante, et particulièrement inconfortable.
Après une brève présentation du bourreau (aucune nécessité d’en savoir plus pour l’instant si ce n’est ces trois mots « Junkie en manque ») et la phrase fatidique « Tous à terre ! Le premier qui bouge, je le bute ! » (page 15), qui vous met très bien en situation, l’auteure choisit de brosser un rapide portrait des personnages en présence :
- la mère excédée devant l’attitude de fils de 15 ans, qui pète un câble, le prive de téléphone et l’oblige à l’accompagner voir son grand père. Mais avant, un petit tour à la supérette de la rue des Termes s’impose…
- l’aide familiale qui, avant de finir sa journée, décide d’emmener Germaine, la vieille médisante et irascible patiente dont elle s’occupe trois jours par semaine, faire quelques courses à la supérette…
- la jeune mère qui profite que son petit bout de trois ans soit captivé par son dessin animé pour se rendre à la supérette acheter quelques couches…
- le caissier, pourtant en congé ce vendredi 16 mai, qui vient dépanner sa collègue malade et prendre sa place à la caisse de la supérette rue des Termes (en attendant d’en savoir plus sur son état de santé)…
- la mère de famille, qui reçoit du monde à dîner et qui s’aperçoit qu’il lui manque du café pour son tiramisu et qui confie à son fils la mission d’aller en chercher à la supérette du coin…
- et enfin, l’homme marié qui vient de tromper sa femme avec la jeune standardiste du boulot (mais qui le regrette déjà !) chargé de faire quelques achats avant de rentrer, qui se rend à la supérette accompagné de sa maîtresse…
« Personne ne l’a écouté, personne ne l’a entendu. Alors il va demander méchamment. Il va exiger. Il va ordonner. En criant très fort, pour être sûr qu’on l’entende, qu’on l’écoute. Il va menacer. Et il va se servir. Fini d’être la victime. Il va devenir bourreau, celui qui commande, celui qu’on criant. » Page 12
La banalité ça rapproche…alors inutile de vous préciser que tous ceux-là ont forcément quelque chose dans laquelle vous vous retrouvez et l’acte si banal de se rendre à la supérette devient très vite le vôtre aussi…Sauf que, ce braquage qui tombe avec brutalité dans le récit, la confrontation avec ce junkie en manque et la prise d’otage qui suit risque de vous faire sortir de votre quotidien. Et lorsque le deuxième corps tombe sans vie, le chef d’accusation pour meurtre vient semer la panique chez l’un d’entre eux et change définitivement la donne : la victime passe d’otage à bourreaux et la menace change de main.
L’innocence des bourreaux est un thriller psychologique (pas -ou peu- de sang, c’est inutile) qui vous entraîne avec facilité mais aussi pas mal de tension dans une histoire macabre où, étrangement, la famille est au centre de tout. En faisant basculer la lecture d’un point de vue à l’autre (tous les personnages y passent), le récit gagne en rythme et en intensité. On se met à la place de chacun (victime ou coupable) et la dualité des portraits brossés, ces gens bien en apparence mais avec une rancœur, une agressivité ou une culpabilité sous-jacente, permet d’intensifier le suspens. Difficile d’anticiper la suite des événements. On assiste à cette journée avec impuissance, effroi et malaise parce qu’il ne s’agit pas simplement de personnages, mais bien de personnes avec une famille et une histoire. Le cheminent prend doucement tout son sens quand on commence à connaître chacun d’eux.
« Existe-t-il une justice divine qui équilibre la balance entre un châtiment mérité et le déchaînement inconcevable des circonstances ? (…) Il veut trouver un sens aux atrocités qu’il a subies autant qu’à l’infamie qu’il s’apprêtait à commettre. Sa santé mentale en dépendant. Serait-il possible que, cherchant à le punir (…), Dieu n’ait pas mesuré la cruauté de la sanction ? À l’origine, Son intention devait être de lui envoyer un avertissement et non pas une condamnation, mais voilà, les événements Lui ont échappé, les désastres se sont succédés, la fatalité y a mis son grain de sel et, sans qu’Il ne puisse plus rien faire pour arrêter le processus cataclysmique qu’Il avait déclenché, Dieu a du moins réussi à lui épargner le pire. » Page 192
« Il songe que, peut-être, durant les quelques minutes où il était au bord d’une sorte de rupture morale, en équilibre précaire entre le bien et le mal, Dieu et Satan se sont disputé le contrôle de sa tournée. » Page 197
En bref : L’innocence des bourreaux est un thriller prenant et aux rebondissements multiples qui m’a beaucoup plu. Si vous pensez avoir à faire à une simple histoire de braquage qui tourne mal, détrompez-vous. Barbara Abel sort plus d’un lapin de son chapeau et réserve des surprises de taille.