Les achats d’armes par des dictatures amies de la France servent parfois tout simplement à soutenir discrètement d’autres alliés, sur commande des services secrets.
Les trafics d’armes et le maillage françafricain ont toujours fait bon ménage. Dès la fin des années 60, le Gabon et la Côte d’Ivoire ont par exemple pu servir aux barbouzes du réseau Foccart comme discrets relais d’approvisionnement en armes de la rébellion sécessionniste du Biafra, province riche en pétrole du Nigéria.Guerre en Yougoslavie : passage par la case Tchad
Plus récemment, au début des années 1990, les « amis » africains ont été sollicités pour soutenir la politique clandestine de la France, non plus en Afrique mais dans les Balkans. En 1991, la guerre civile fait rage en Yougoslavie, après la proclamation de l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Pour limiter les combats, le Conseil de sécurité des Nations Unies instaure à partir de septembre un embargo sur les armes. Or, la France cherche à soutenir activement les Croates.La Direction de la Surveillance du Territoire (DST), chargée normalement du contreespionnage, met en relation un intermédiaire croate, Marin Tomulic, présent en France, avec l’ancien officier belge Jacques Monsieur, reconverti dans le trafic d’armes et futur grand artisan du réarmement de Sassou Nguesso lors de sa reconquête du pouvoir au Congo quelques années plus tard, en 1997. Aiguillonné par les services secrets français, le trafiquant propose aux autorités croates naissantes de l’armement en provenance de pays d’Europe de l’Est, à régler sur un compte au Luxembourg. C’est au moment de l’acheminement de la cargaison que les réseaux françafricains sont activés.
En effet, pour pouvoir être exporté, tout matériel militaire doit être accompagné d’un certificat d’utilisateur final, ceci afin d’être « sûr » que les armes ne sont pas destinées à un pays sous embargo. L’astuce pour les trafiquants d’armes bien introduits en Françafrique revient donc à solliciter des dirigeants africains afin qu’ils signent le certificat d’une commande qui ne leur est pas destinée. Pour contourner l’embargo appliqué aux belligérants de l’ex-Yougoslavie, notre Monsieur aurait ainsi, selon le reportage « Ventes d’armes : dans les filières du trafic » (Spécial investigation, décembre 2009), fait appel au Tchad d’Idriss Déby (déjà là !) et potentiellement au Togo du général Eyadéma, père de l’actuel dictateur. Au passage, les dirigeants qui utilisent leur pays comme un prête-nom prennent leur commission sur la transaction : 5% dans le cas du Tchad. Sur les dizaines de millions de francs qui sont échangés, cela fait une somme colossale destinée au dictateur.
Libye : une barbouze pour armer la rébellion
De telles filières sont encore actives de nos jours. En 2011, lors de l’intervention militaire en Libye pour faire tomber Kadhafi (opération Harmattan), la France décide d’approvisionner en armes les rebelles, notamment dans le Djebel Nefoussa. Selon Jean-Christophe Notin, auteur de La vérité sur notre guerre en Libye (2012, Fayard), une solution ressemblant à celle citée précédemment est proposée aux autorités françaises. Une barbouze présente sur place, un ancien officier de l’armée française ayant soutenu les rébellions des Karen en Birmanie, de Sassou Nguesso au Congo Brazzaville ou encore celles des Darfouri au Soudan, aurait en effet réfléchi « à une filière d’approvisionnement en armes bulgares.Achetées en Albanie, les caisses auraient transité par un pays africain, lequel aurait accepté de signer l’indispensable certificat d’”end using user” [utilisateur final] avant de les renvoyer par la route en Libye. Le délai – trois semaines – a été jugé trop long à Paris au vu des périls encourus » (p. 391). Au final, les armes seront parachutées par des avions de transport français. Il n’en reste pas moins que le circuit d’armement est toujours en place.
Source : eburnienews