Paris, début mars. Anaïs Collet, sociologue vient d’écrire un livre sur la gentrification du Bas-Montreuil et de la Croix-Rousse, à Lyon. (LP/C.G.)
C’est l’histoire de Julien, sculpteur et artisan qui achète à Montreuil, une ancienne usine bourrée de produits chimiques abandonnés, pour la rénover et y vivre. C’est le pari de Rémi, technicien de l’audiovisuel qui acquiert un garage en dépit d’un marchand de biens sans scrupule et parvient à le reconvertir en « loft de magazine ».
Ces choix de vie ont été saisis par la sociologue Anaïs Collet, dans le cadre d’une longue enquête de terrain consacrée à la mutation de deux quartiers populaires : le Bas-Montreuil, et la Croix-Rousse à Lyon. La chercheuse a étudié le phénomène de gentrification, déclenché par l’arrivée de classes moyennes dans des secteurs déshérités et vieillissants. Elle en a fait une thèse, devenu un livre intitulé « Rester bourgeois », qui vient de paraître aux éditions La Découverte.Le lecteur croise une cinquantaine de trajectoires, comme celle de Bérengère et Loïc. Fonctionnaire et photographe, ils sont devenus propriétaires d’un sinistre pavillon avec des barreaux aux fenêtres, que la verdure et des travaux métamorphoseront au bout de sept ans. De générations différentes, les habitants suivis dans cette enquête ont emménagé entre 1987 et 2005 dans le Bas-Montreuil, très ouvrier et rempli de petites usines jusqu’aux années 1980. « Je voulais analyser la manière dont la ville se transforme, en regardant la population plutôt que les politiques publiques menées par les élus et les aménageurs, explique Anaïs Collet. Ce qui m’intéressait était de voir se fabriquer la ville à travers les trajectoires résidentielles et professionnelles des gens, les travaux qu’ils font dans leur logement, les relations avec les voisins, l’engagement dans des associations… »La sociologue s’est aussi appuyée sur les recensements de l’Insee et les données des notaires sur les transactions immobilières. Les arrivants « ont en commun le décalage entre leur capital culturel et leurs ressources économiques, explique Anaïs Collet. Ils ont fait des études supérieures, ils sont qualifiés mais leurs revenus sont irréguliers ou incertains. » Dans son enquête, les interviewés gagnent entre 530 € par mois (pour un célibataire) à 5 500 € (couple avec un enfant). L’argument financier les pousse à franchir le périphérique, pour acheter un logement. « Ils sont beaucoup parmi les nouveaux habitants du Bas-Montreuil à évoquer les images péjoratives de la banlieue, la contrainte que représente un départ de Paris. Mais une fois installés, ils parlent de petite ville, de quartier villageois ou decampagne », rapporte la sociologue, notant la façon dont les arrivants s’approprient leur lieu de vie. « Ils s’investissent socialement et en même temps, il y a un travail symbolique qui s’opère sur l’image du quartier. »Que sont devenus les habitants « historiques » du Bas-Montreuil, les plus pauvres qui ont vu leur loyer augmenter et qui ont dû peut-être partir ? « Pour le savoir, il faudrait faire un deuxième livre ! », conclut Anaïs Collet.« Rester bourgeois », d’Anaïs Collet, éditions La Découverte, 285 p, 25 €.L’auteur sera à la librairie Le Genre urbain (60, rue de Belleville, à Paris), le 8 avril à 20 heures.Le mot : gentrificationC’est le phénomène de transformation sociale et économique d’anciens quartiers populaires en centre-ville par l’arrivée de ménages issus des classes moyennes et supérieures : on les appelle les « gentrifieurs ». Le mot « gentrification », qui est dérivé du terme anglais « gentry » (désignant la petite noblesse), est créé par la sociologue Ruth Glass qui l’emploie en 1964 dans un livre consacré aux changements de la ville de Londres. L’un des revers de ce processus est la hausse des prix des loyers et de l’immobilier qui poussent les plus pauvres à quitter le quartier gentrifié. Dans son ouvrage, Anaïs Collet relève le fait que la gentrification ne concerne pas seulement les centres-villes, mais qu’elle s’étend à la banlieue.C.G.C.G. | 25 Mars 2015
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