Nous les morts (T1) Les enfants de la peste

Publié le 05 mai 2015 par Un_amour_de_bd @un_mour_de_bd

Chronique « Nous les morts (T1) »

«Nous venons en paix…»

Scénario de Darco Macan, dessin de Igor Kordey, couleurs de Yana,

Public conseillé : Adultes / grands adolescents

Style : Uchronie zombie
Paru aux éditions Delcourt, le 8 avril 2015, 56 pages couleurs, 14.95 euros
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L’Histoire

1348 : la Grande Peste ravage l’Europe. Mais les morts se relèvent et reprennent leurs activités que seule peut interrompre l’irruption inopinée d’êtres vivants. 666 ans plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, le Sapa Inka, chef suprême des Inkas qui a asservi, anéanti ou réduit à la féodalité toutes les civilisations des deux Amériques, prend pleine conscience des méfaits de l’âge. Craignant pour sa vie, et croyant tenir en la personnes d’Européens immortels capturés 500 ans auparavant à la descente de leur navire, et transmis de monarque en monarque, un indice sur la position de la légendaire Fontaine de Jouvence, il envoie l’un de ses fils, le prince Manco, de l’autre côté de l’océan en quête de celle-ci.

Ce que j’en pense

J’étais sceptique : encore une histoire de zombies, encore une uchronie.

Mais je suis curieux. Et c’est tant mieux : il aurait été dommage de passer à côté de cette perle vintage. Pourquoi vintage ? Parce qu’en lisant Nous, les morts j’ai fait un bond dans le temps, en plein âge émancipatoire de la bande-dessinée. J’entendais même Hotel California sortir des enceintes de ma platine.

Imaginez que Corben et Rosinski, après quelques fêtes sous acides avec leurs potes de Métal Hurlant, aient eu deux Fils : ils s’appelleraient Darko et Igor (jusque là c’est crédible) et, comme papas, ils feraient de la BD. Ne cherchez pas, j’ai vérifié, tout se tient.

Souvenez vous de ces scénarios déjantés, des scènes d’érotisme (expression fleur bleue euphémiste) et de violence émaillant ces lectures modernes en totale rupture avec Pilote et la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ; la bande-dessinée devenait adulte (c’était d’ailleurs le public légal de ces magazines et albums), mais avec fraîcheur. La puberté d’un genre, d’une époque, d’une génération.

Dans cet album, on retrouve tous les ingrédients de cette crise d’adolescence. Mais sans arrière-goût de plagiat ni de mélancolie. Juste avec délice. L’histoire, improbable, se tient ; elle est même d’essence divine, certains signes ne trompent pas. Le dessin a une pêche folle, même dans ses défauts, et il trouve indubitablement ses sources dans ceux de papas : reprenez les premières aventures de Thorgal ou celles de Den si vous avez le moindre doute.

Et un humour ! J’adore ! Le monologue de Manco durant une séance d’immolations tenant du fordisme, le prêtre sacrifiant une vie afin de la faire renaître dans la mort, les 666 ans séparant la Grande Peste de… 2014 : que du bonheur ! Quant à ce clin d’œil récurrent, sous forme d’indices disséminés dans les pages, à la supériorité évidente de l’Asie sur le reste du monde, il ne peut qu’inciter à s’interroger sur le rôle des Hans dans le jeu politique des nations. On ne s’ennuie pas dans l’univers de Darko et Igor. La série se limitant à une quadrilogie, la lassitude inhérente aux collections faillant à se conclure (ou simplement à s’interrompre) risque de faire heureusement défaut.

Mon petit doigt me dit que le «Nous venons en paix» de Manco, doux intellectuel dans un monde un tantinet âpre, ne va pas trouver moult échos chez ses contemporains…