Ma regrettée belle-mère d’adoption Jacqueline Briot*, qui a consacré sa vie au bénévolat depuis l’armée De Lattre en Allemagne occupée à la Côte d’Ivoire, avait coutume de dire à propos de la Croix-Rouge qu’elle connaissait de l’intérieur : « Il y a ceux qui la servent et ceux qui s’en servent. ». Elle professait une opinion très contrastée sur les organisations humanitaires et les « French Doctors » … Jean-Christophe Rufin met aujourd’hui, dans ce domaine, « les pieds dans le plat » avec son dernier roman.
Il met en scène cinq personnages qui, chacun, poursuit un but affiché et une motivation plus trouble. Lionel, chef de l’expédition, minutieux mais toujours entre deux joints, Marc et Alex, anciens militaires à l’enfance perturbée, Maud, jeune bourgeoise qui cherche sa voie et veut marquer sa différence vis-à-vis de sa famille en passant le permis poids-lourds, Vauthier enfin, un peu balourd, plus vieux que ses compagnons, le mécano de l’équipe qui s’éclipse de temps en temps sans que l’on sache à quoi il s’occupe.
Les voilà embarqués dans deux quinze-tonnes au bord de la rupture de ses durites, avec pour mission la livraison de ballots de vêtements chauds, nourriture et médicaments, au nom d’une petite organisation humanitaire lyonnaise, direction : la ville de Kakanj au centre de la Bosnie-Herzegovine et ses vieillards, femmes et enfants réfugiés dans les fours d’une ancienne mine de charbon. Un road-movie riche en rebondissements, ponctué de passages dangereux – on pense naturellement au film « Le salaire de la peur » - en particulier de nombreux points de contrôle entre des secteurs belligérants étroitement imbriqués.
Au cours de ce long voyage, chacun va révéler ses pensées secrètes à ses compagnons et surtout à lui-même. Face à la réalité de la guerre civile entre ces communautés qui parlent la même langue mais professent les unes avec les autres une haine inextinguible, la mission humanitaire prend un tour inattendu. Apporter une aide aux victimes consiste-t-elle à leur livrer des vivres et des médicaments ou des armes pour se défendre ?
« La haine, c’est aussi fort que l’amour. Sauf qu’on n’a pas besoin de demander son avis à l’autre. » dit Vauthier, qui en sait un rayon dans le genre.
Franchement, c’est le quatrième roman de Jean-Christophe Rufin que je lis – après Un léopard sur le garrot, Le parfum d’Adam et Le collier rouge - mais je n’ai pas ressenti cette fois la même émotion et la même hâte à en connaître le dénouement. Cependant, c’est une réflexion lucide sur la vocation humanitaire et l’ingérence des pays développés dans les affaires de pays en guerre, portée par un homme d’expérience et qui sonne vrai. Et toujours aussi bien écrit.
Check-point, roman de Jean-Christophe Rufin, de l'Académie française. Chez Gallimard, 387 p. 21€
* vous pouvez lire la courte autobiographie de Jacqueline et de son mari Pierre dans la catégorie qui leur est consacrée : clliquez sur "Histoire des Briot" dans la colonne de gauche.