Titre original : The American
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Anton Corbijn
Distribution : George Clooney, Johan Leysen, Thekla Reuten, Violante Placido, Paolo Bonacelli, Irina Björklund, Bruce Altman…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 27 octobre 2010
Le Pitch :
Seul dans un nid d’assassins, l’américain que l’on appelle Jack, est un maître dans sa discipline. Lorsqu’une mission en Suède finit plus brutalement que prévu, il jure à Pavel, son contact, que son prochain contrat sera son dernier. Jack se refuge alors dans la campagne italienne, où il se planque dans un petit village montagnard et pendant un moment, s’éloigne du monde de la mort. À sa plus grande surprise, Jack se lie d’amitié avec le prêtre du coin et poursuit une aventure romantique avec une belle prostituée du nom de Clara. Mais en sortant de l’ombre, le tueur pourrait bien être en train de jouer avec son destin…
La Critique :
Certains l’appellent Edward. Pour d’autres, c’est Jack. Il ressemble beaucoup à George Clooney en seulement plus froid et plus maigre. Il ne faut pas s’attendre à grand chose niveau histoire concernant le protagoniste de The American. Le titre résume à peu près tout ce qu’il est prêt à dévoiler.
Il s’agit d’un de ces métrages où la forme triomphe sur le contenu. Le film d’ambiance curieusement touchant d’Anton Corbijn suit l’assassin vieillissant et hanté de Clooney alors qu’il se planque dans les montagnes italiennes d’Abruzzo pendant quelques semaines. Certains messieurs au caractère peu ragoûtant sont à ses trousses, pour des raisons qui ne sont jamais expliquées. Une séquence d’ouverture nous informe qu’ils sont dangereux. Cette même scène nous prend au dépourvu en s’achevant sur un coup de traître illustrant le fait que Clooney est encore plus meurtrier, mais un gros plan indique qu’il pourrait enfin être en train de développer une conscience.
Son contact (Johan Leysen, un pruneau malveillant qui ressemble à Scott Glenn laissé au soleil) lui fait la morale, disant qu’il est dépassé. Les rares instants de dialogues, adaptés par le scénariste Rowan Joffe à partir du roman A Very Private Gentleman de Martin Booth, adhérent tellement aux archétypes des tueurs à gages durs-à-cuire qu’on est parfois à deux doigts de basculer dans l’auto-parodie. En effet, le scénario de The American (dans la mesure où il y en a un) ressemble à une collection exclusive de péripéties démodées et de clichés moisis.
Après tout, on a ici un tueur à gages las et fatigué qui veut prendre sa retraite. Mais d’abord, il a un dernier contrat à remplir (dans l’histoire de la fiction criminelle, est-ce qu’il y a déjà eu un « dernier contrat » qui s’est bien passé ?). En cavale en Italie, on l’embauche pour construire une arme surpuissante pour une cliente mystérieuse (Thekla Reuten). Elle le rencontre dans un endroit public, où elle porte un journal plié sous son bras – le détail révélateur dans un film d’espionnage. Pour une raison ou une autre, elle a besoin d’un fusil sniper qui fonctionne comme une mitraillette, mais Clooney n’ose pas lui demander pourquoi. Elle veut peut-être le tuer. Elle semble aussi être en train de le draguer, mais c’est peut-être juste parce qu’il ressemble à George Clooney.
On a aussi la prostituée au cœur d’or, un classique, incarnée par la ravissante Violante Placido, qui joue Clara, la fille la plus gentille du bordel du coin qui a le béguin pour Clooney quand elle voit le tatouage ringard d’un papillon sur son dos. Un jour, elle finit par arrêter de le faire payer et lui propose des rencards à la place. Lui ne fait confiance à personne, mais peut-être qu’elle est différente, même si il est possible qu’elle aussi a ses raisons cachées. Ou c’est peut-être juste parce qu’il ressemble à George Clooney. Y’a même un prêtre jovial et rondelet, surjoué par Paolo Bonacelli, qui s’attache à notre protagoniste maussade et traîne à ses côtés prononçant des aphorismes comme: « Tu ne peux douter de l’existence de l’enfer, mon fils. Tu y vis. C’est un endroit sans amour ». The American devrait être ridicule. Et pourtant, le foutu métrage est totalement hypnotique.
Un ancien spécialiste du clip musical portant ses influences fièrement en bandoulière, Corbijn vise à reproduire le malaise des âmes austères du cinéma européen des années 70. Il y a un peu de Jean-Pierre Melville par ci, une pincée de L’Ami américain de Wim Wenders par là, et une bonne poignée de clins d’œil passagers à Michelangelo Antonioni – surtout son film Profession : reporter. Sergio Leone lui-même est cité par le propriétaire d’un café où Clooney regarde impassiblement Il était une fois dans l’Ouest dans un plan qui ressemble à une peinture d’Edward Hopper avec une télé HD accrochée au mur. Synchronisé à un rythme temporel glacial qui est différent des autres thrillers contemporains, The American est lent et délibéré, remplit de longs moments de silence et d’une angoisse existentielle. Le chef-opérateur Martin Ruhe peint une toile lyrique de berges verdoyantes et de rues qui paraissent sombres et inquiétantes à la tombée de la nuit. Un calme anxiogène s’installe, et devient impossible à écarter.
Non seulement George Clooney paraît de plus en plus classe au fil de ces dernières années, mais le gaillard est aussi en train de devenir un meilleur acteur – faisant preuve à la fois de courage et de retenue dans des rôles parfois très différents. Ici, il joue un homme qui se définit concrètement comme un samouraï : un expert, imperméable et parfaitement hermétique, définit uniquement par ses compétences et son maître. Il vit seul, fait des pompes, fréquente les cafés du coin, travaille sur les mécanismes de son fusil. Et ainsi de suite. Son seul défaut, et il est fatal, c’est l’amour (c’est peut-être pour cela qu’il préfère les courtisanes, considérant l’erreur qu’il a fait dans la relation qui ouvre le film).
The American fait penser à son astronaute chagriné dans le remake sous-estimé de Solaris, signé Steven Soderbergh. Ne laissant apparaître aucune trace de sa personnalité Mister Cool, Clooney paraît vide et fantomatique. Dépourvu de son statut de star de cinéma et souvent chassé aux recoins du cadre écran-large, il scanne les environs d’un regard méthodique, toujours à la recherche du danger, jamais au repos. Incarnant un homme qui n’a pas de passé ni d’avenir, il vit que dans le maintenant, un maintenant de plus en plus précaire. La mise en scène impeccablement maîtrisée de Corbijn souligne l’affreuse solitude de cette condition.
Refusant obstinément de servir les satisfactions typiques de son genre, avec toute l’attention d’un drame japonais, The American est plus une ambiance qu’une histoire. Le film se termine comme une horloge qui arrive à son dernier tic-tac. Son onirisme reste dans la tête pendant des jours après le générique. Ou c’est peut-être juste parce que c’est George Clooney.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Mars Distribution