~~d'après LA REINE HORTENSE , de Maupassant
Elle habitait rue des Sapins, à Lens.
On l'appelait La reine Hortense. Pourquoi ? Personne ne le sut jamais. Elle était impérieuse, Sèche et osseuse. C'était une vieille fille, Une de ces vieilles filles À la voix cassante, À l'âme repoussante. Elle n'admettait aucune contradiction, Même quand elle qualifiait la religion De Marchandise à pleureuses.
La reine Hortense tomba malade En décembre1882. La sachant fiévreuse, Jeanne, sa bonne, appela le médecin. La reine Hortense chassa le praticien Et refusa de prendre ses médicaments. Un prêtre lui fut présenté. Elle se leva du lit toute dénudée. Affolé, l'abbé prit congé sur le champ.
Alors, Jeanne fit venir les sœurs de sa patronne L'une, Annie, avait épousé un rentier, Étienne Madelone, L'autre, Louise, était mariée À François Hénaf, Un modeste typographe. En arrivant, Étienne demanda : -" Eh bien ! Jeanne, ça ne va pas ? " La bonne gémit : -" Elle ne me reconnait seulement pas. Le médecin dit que c'est fini. " Tout le monde se regarda Et François déclara :
-" Bigre ! Il était temps. " La famille et Jeanne Entrèrent en silence Dans la chambre d'Hortense. Les mains de la mourante s'agitaient, S'ouvraient, se refermaient Comme si une pensée les eut animées, Comme si elles eussent indiqué des idées. Son corps restait immobile. Son visage était tranquille. Ses yeux demeuraient clos.
Elle prononçait d'étranges mots, Appelait des personnes imaginaires : " Ma petite Paula, embrasse ta mère. Tu l'aimes bien ta maman, Dis, mon enfant... Rose veillera sur toi, sur Amélie Et sur Simon pendant que je serai sortie. Henriette, Tu m'entends, Je te défends De toucher aux allumettes ! Dis à ton père de venir me parler Avant de partir travailler. Je suis un peu souffrante aujourd'hui. Ne rentre pas trop tard, chéri. Tu diras à ton directeur Que j'ai mal au cœur. Il est dangereux, tu comprends, De laisser seuls les enfants. Quand je serai partie, Rose fera un plat de riz. Amélie et Paula aiment beaucoup ça. Elle sera contente, Paula ! " Puis la reine Hortense articula Avec un rire bruyant : " Quelle drôle de tête il a, Jean ! Regarde donc sa figure. Il s'est barbouillé de confiture ! "
François murmura : -" Elle rêve qu'elle a des enfants et un mari. C'est l'agonie. " La bonne proposa : -" Veuillez passer dans la salle à manger. " Nous sommes malheureux d'être venus ici ; Il ferait si bon dans la campagne aujourd'hui. Tu nous a fait quoi pour le déjeuner ? " -" Une omelette et un faux-filet Avec des pommes rissolées. "
La mourante maintenant Habillait et caressait ses enfants. Ensuite elle a fait lire Simon : " Répète A B C D... Tu ne dis pas bien, voyons ! "
Étienne a marmotté : -" C'est curieux ce qu'on dit à ces moments-là. " Annie conseilla : -" Faudrait retourner la voir. " François l'en dissuada : -" Vous pensez pouvoir Changer son état ? "
On se mit à table à une heure. Étienne goûta le vin : -" Dis, Jeanne, il n'y a rien de meilleur ? " -" Si, monsieur, il y a du Chambertin. " -" Va en chercher. Qu'est-ce que tu attends ! " On le goûta. Il était excellent. -" Combien en reste-t-il, Ma fille ? " -" Oh ! Presque tout, monsieur ; Mam'zelle buvait très peu. "
Quand le déjeuner fut achevé, Tout le monde alla vérifier L'état de la reine Hortense, Sauf Étienne qui ne se dérangea pas, N'aimant point ces choses-là. Elle semblait proche de la délivrance Et eut un cri déchirant : -" Je ne veux pas mourir, je ne veux pas ! Qui élèvera mes enfants ? Qui les soignera ? Qui les aimera ? Non, je ne veux pas ! "
François appela Étienne : -" Venez ! Elle vient de passer. " -" C'a été moins long que j'aurais pensé. " Conclut Jeanne, sereine.