Dans les années 1630, le petit village d’Abelès abrite depuis toujours une famille un peu particulière: les Dujardin, sages-femmes et guérisseuses de mère en fille. La vieille Catherine transmet ses secrets à sa fille Anneline et à la petite Jeanne, d’une dizaine d’année, et veille sur le Livre. Tout le village connaît leur talent pour soulager l’enfantement, replacer les membres abîmés, guérir les blessures les plus graves, et elles vivent en bonne entente avec le vieux curé qui met de côté ses scrupules devant leur efficacité. La mort de ce vieil allié et l’arrivée d’un nouveau curé bien plus proche des idées de l’Inquisition n’est pas de très bonne augure pour elles. Dans le village voisin, alors que François Morin savoure son bonheur auprès de sa jolie épouse et de sa fille, un gabeleur vient réclamer une somme exorbitante aux habitants déjà bien pauvres. Pris à parti, François conteste la somme. La punition ne se fait pas attendre: tandis qu’il s’évanouit sous les coups de fouet, sa famille est massacrée. Détruit, submergé par la haine, il pourchasse alors le gabeleur de sa vengeance et, en fuite, blessé, à moitié mort, croise Anneline dans la forêt…
Passé le titre de la série un peu racoleur, j’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. Chasse aux sorcières et inquisition sont des thèmes que je trouve fascinants. Nous sommes bien loin des sorcières aux pouvoirs surnaturels fulgurants que nous vend la littérature de l’imaginaire. Elles sont avant tout des femmes en communion avec la nature, qui savent utiliser les remèdes à leur disposition pour remettre les corps d’aplomb, qui connaissent les recettes d’onguents réparateurs. De magique, c’est à peine si elles montrent ce magnétisme qui leur permet de soulager la douleur par simple application des mains. Mais si elles dérangent, c’est surtout parce qu’elles sont femmes, soudées, et libres: elles se passent de mari, de confession et même d’enfant si elles le souhaitent. Profondément vivantes, lumineuses, bien dans leur peau, ces trois femmes sont très attachantes et si l’histoire se focalise assez vite sur Anneline, j’ai beaucoup aimé la petite Jeanne et sa spontanéité perspicace qui en fait une véritable bouffée de fraicheur.
Elles forment un contraste saisissant avec François, qui se forge une réputation de démon à travers la région, qu’il arpente sous sa cape noire, l’épée à la main, en quête de sang à faire couler. Son drame et la folie dans laquelle il sombre petit à petit le rendent tout à fait pathétique et presque effrayant, à la mesure des ennemis qu’il s’est fait. Car il en faut, de la détermination ou de la folie, pour affronter les hommes les plus puissants du royaume en terme politique ou religion, en plein dix-septième siècle. Intéressant que les vraies sorcières soient aussi rassurantes et que la seule créature vraiment dangereuse soit un homme.
Autour d’eux, on redécouvre un contexte perturbé d’obscurantisme religieux. Les méthodes de torture de l’Inquisition ne sont pas atténuées, loin de là: des plus barbares aux plus raffinées, l’homme ne manque pas d’imagination quand il s’agit de faire souffrir. Si, en bon premier tome, le roman ne fait qu’effleurer les implications politiques du savoir ancestral détenu par la famille Dujardin, il n’hésite pas à lancer à leur poursuite, après les plus virulents inquisiteurs, les légendaires mousquetaires du roi et le cardinal de Richelieu lui-même. Plus le roman avance, plus le contexte historique est précis et soigné, et je serai curieuse de voir ce qu’il en advient dans les tomes suivants.
La note de Mélu:
Un excellent roman! Merci au forum Mort Sure et aux éditions Pocket pour cette découverte.
Un mot sur l’auteur: Hervé Gagnon (né en 1963) est un auteur québécois qui a aussi beaucoup écrit pour la jeunesse.