"Je ne peux rien pour toi.
Je ne vaux rien.
Parce que la roue tourne, tu vois, c'est le jeu. Un jour, tu es une artiste, et un jour tu n'es plus rien. Un jour tu es nourrie par ton travail et c'est lui qui te fait courir danser rire. Et un jour il n'a plus de consistance. Plus de matière. Seul compte ce que tu ressens pour un homme. Seuls comptent le manque, l'attente, la peur qu'il t'oublie ou qu'il t'abandonne, et tous ces fils tordus et paranoïaques que ton angoisse tricote dans ta tête.
Seuls comptent la solitude et la mélancolie qui se dressent entre toi et les autres comme les barreaux d'une prison.
Tu le vois bien dans le miroir qu'on est seules, non ?"
Sandrine Roudeix a inventé dans son texte une nuit, celle où Diane Arbus aurait décidé de faire son autoportrait. Dans sa salle de bains, que la photographe a choisi pour cadre, la chaleur est étouffante, moite. Il faut décider du meilleur angle possible, du décor, pourquoi pas s'immerger dans la baignoire, nue. Mais tandis que l'accomplissement de son projet s'éternise, Diane se repasse le film de sa vie, sa rencontre avec son mari, la naissance de ses filles, ses parents, sa famille. Elle nous révèle comment lui est venu son désir de photographier, et comment elle s'y prenait dans les faits, à quel point en saisissant sur la pellicule les étranges et les bizarres, elle est allée au bout de ce qu'elle voulait faire, insistant pour conserver son format particulier, son grain, son individualité, sa manière de rencontrer ses sujets. Elle se confie à son miroir, à la petite fille qui ricane en elle.
C'est au travers du dernier livre de Laurence Tardieu [clic ici] que j'ai appris le nom de cette photographe dont je connaissais comme tout le monde quelques portraits. Et c'est ce qui m'a amené à avoir envie de lire ce roman là, pour approcher au mieux ce personnage, malgré l'évidente fiction. Tout de suite, l'écriture de Sandrine Roudeix m'a prise à la gorge, et je ne m'y attendais pas. La douceur régnait dans ses Petites mères [clic]. Mais j'ai aimé ça, tout du long, cette oppression de l'écriture, de l'ambiance suffocante du lieu, la sincérité dérangeante d'une solitude qui se scrute dans le miroir sans illusions d'une salle de bains. Rien n'est épargné au lecteur, de la sensualité brute au désespoir sans fards, mais l'intimité que crée Sandrine Roudeix avec son personnage est également douce, enveloppante, tendre et compréhensive, comme un emmaillotement qui prendrait toute une nuit à se tricoter. C'est très très beau, très difficile à lire aussi par moments, mais d'une unité parfaite, à dévorer dans un souffle. Un gros coup de coeur !!
Editions Mercure de France - 16.80€ - mars 2015
La revue de presse sur le site de l'auteure - Le très beau billet du petit carré jaune (Sabine) !!