Magazine Journal intime
L'autre soir, l'autre soir, j'ai chanté du blues. Au crépuscule, quand y fait pas trop mauvais et que j'ai pas trop mal à ma main de vieux, je déballe la Chinoise et touang gaglang ! L'autre soir, l'autre soir, après quinze minutes, ça s'est mis à chauffer. Le son est sorti de nulle part et a enfin commencé à trouver sa place sur la corniche de sable. Les oiseaux sont venus voir la grosse bibitte. Les lézards se sont avachis près du tas de pierre, je voyais les coquilles s'installer de ci de là, Rosie roulait les oreilles. J'avais une salle, comme dans le temps. Eh, eh. Les Allemands qui remontaient de la mer pour aller regarder leurs reportages me gratifiaient de pouces enthousiastes. « Gutt-gutt ! » Un papa Britiche avec fiston sur les épaules m'a brogué un délirant « Jeemee Paaage ! Right good, man ! » Trompé de couleur, mais si sympa. Je suis une grenouille rouge qui joue du blues noir.
L'autre soir, l'autre soir, un sac-à-dos chevelu échevelé (chose si rare en ces temps de tambours martiaux) est apparu soudainement, battant la mesure de grands mouvements de tête. Il a posé son bardas, s'est assis en indien dans le sentier, de dos, mais tout près. Il est resté une bonne demie-heure. Les soleil déclinait. Puis il est venu se planter devant moi, carrément, les bras croisés sur sa poitrine, sourire fendu jusqu'à la nuque. J'ai continué. Quand j'ai levé la tête et il était parti. Vers la fin de mon jam je l'ai aperçu qui grimpait la pente abrupte d'un pas leste, tenant un truc dans la main droite. Après une série de salamaleks élaborés, il a planté cette plume sur un poteau de ma clôture, a hissé son havresac sur ses épaules, et s'est éclipsé. Les larmes m'étranglaient et j'ai pas su dire merci. Je me disais : « Duncan, esti, je te reconnais jamais… »
—© Éric McComber