Vainqueur du Tour de France cycliste 1909, le jovial François Faber était avant la Grande Guerre un champion populaire. Grandi en banlieue parisienne, le « Géant de Colombes », généreux et bon vivant, avait opté pour la nationalité luxembourgeoise de son père, mais était considéré par le public comme un enfant du pays. Quand la guerre éclate pendant l’été 1914, il s’engage dans la Légion étrangère pour défendre la France, qui avait fait « sa fortune ». Un siècle après sa disparition, c’est en hommage à son parcours et à celui de tous ses frères d’armes qu’il nous raconte à sa manière ses derniers jours.
« 3 mai 1915, un grand coup se prépare. Les rumeurs courent plus vite que les totos sur nos couvrantes. Hier Cruchon m'a parlé d'une réunion avec toutes les huiles, Philippe Pétain, le colon du 33e corps d'armée, y était… Ça sent le casse-pipe pour nozigue. Mais rien de neuf sous le soleil, on continue à terrasser. Ah, vont être beaux nos boyaux, soignés aux p'tits oignons ! Creuser, sortir de la terre, charrier des paquetons… Ça m'rappelle quand avec mes frangins, Ernest et Jules, "La Pellette" et "Patte de Pie", on vidait les péniches sur les quais de Seine pour la maison Béraud. Ah, c'était bath, on en bavait mais on se fendait la pipe ! Le café-rhum de notre p'tite maman le matin. Les déjeuners chez Moisan à Colombes, le "repas des fauves" comme écrivait Charles Ravaud dans L'Auto. C'est vrai que fallait pas nous en promettre côté fourchette, toujours un boyau de vide les frérots ! Boulotter un demi-gigot et un poulet entier dans un même repas, ça nous faisait pas peur… Ici, ça "creuse" tout autant de creuser, mais tintin pour le quadrille de la mâchoire. Faut savoir se contenter de peu et encore, j'suis pas le plus à plaindre, j'ai quelques colis pour améliorer l'ordinaire. Quand ça arrive, c'est la tournée du caporal Faber ! Mais c'est pas du ravito que j'attends le plus en ce moment. J'aimerais bien avoir des nouvelles d'Eugénie, savoir si nous sommes papa et maman. J'suis sûr qu'elle va nous faire une petite fille, j'lui ai écrit… Mais rien pour le moment, alors j'me remets au turbin. Faut en profiter, c'est plutôt calme dans le secteur, à part quelques cadeaux tombés du ciel sur les Fritz de la part de nos artiflos ce matin, rien depuis. A la revoyure, j'espère pouvoir vous écrire une autre bafouille demain, si ces maudits Boches m'en laissent le temps…"