Titre original : Bloodline
Note:
Origine : États-Unis
Créateurs : Todd A. Kessler, Glenn Kessler, Daniel Zelman
Réalisateurs : Johan Renck, Adam Bernstein, Todd A. Kessler, Jean de Segonzac, Alex Graves, Tate Donovan, Dan Attias, Simon Cellan Jones, Michael Morris, Ed Bianchi, Carl Franklin.
Distribution : Kyle Chandler, Ben Mendelsohn, Linda Cardellini, Norbert Leo Butz, Sissy Spacek, Sam Shepard, Jacinda Barrett, Enrique Murciano, Chloë Sevigny, Mia Kirshner…
Genre : Drame/Thriller
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 13
Le Pitch :
En Floride, au cœur des Keys, les Rayburn jouissent d’une réputation sans faille auprès d’une communauté qui le leur rend bien. Cependant, lorsque Danny, la brebis galeuse de la famille, refait son apparition après plusieurs années d’absence, afin de fêter le 45ème anniversaire de l’hôtel de ses parents, les nuages commencent à s’amonceler et de lourds secrets de menacer un équilibre plus précaire que les intentions ne veulent bien le laisser transparaître…
La Critique :
Autre série prestigieuse produite et diffusée en exclusivité par Netflix, Bloodline a débarqué sans crier gare avec son parterre prestigieux d’acteurs très fréquentables et a mis tout le monde d’accord (bon d’accord, pas tout le monde, mais presque). Prenant pied au cœur de l’archipel des Keys, ce drame puissant porté par les frères Kessler, déjà responsables de la série Damages, jouit d’une identité affirmée, dont le principal mérite est de parvenir à capter l’attention dès les premières images. Bloodline qui adopte d’ailleurs plus ou moins le même schéma que Damages, en faisant de réguliers bonds dans le temps, en début d’épisode généralement, afin d’exposer petit à petit un dénouement tragique, tranchant violemment avec les sublimes paysages de la Floride. Les fans de Patty Hewes seront donc vite en terrain familier, tant Bloodline joue avec les mêmes codes narratifs, en se payant le luxe de parvenir néanmoins à surprendre, par la tournure que prend l’histoire au fur et à mesure qu’elle progresse. À grand renfort d’évocations mystérieuses, qui suggèrent fortement que les choses vont vite mal tourner, le show table sur un suspense remarquablement bien agencé et prend la forme d’une redoutable montée en puissance inexorable.
Dans Bloodline, les apparences sont trompeuses. Le vernis caractérisé par les sourires de façades et les bonnes intentions, cache invariablement des secrets qui ne demandent qu’à remonter à la surface. C’est là qu’intervient Danny, le vilain petit canard de la famille Rayburn, cette dynastie au centre de toute une communauté. Incarné avec une intensité en somme toute hallucinante, par le toujours irréprochable Ben Mendelsohn, ce personnage est l’élément déclencheur d’une avalanche amenée à bouleverser à jamais les membres d’un groupe en apparence soudé, dominé par un patriarche bienveillant et une mère aimante. Dès lors, quand le perturbateur, animé par une volonté de créer le chaos car motivé par des désirs obscurs mais sans aucun doute malveillants, s’impose dans une dynamique qui n’est plus la sienne depuis longtemps, tout vole lentement -mais sûrement- en éclat. Sans céder aux sirènes du thriller aux accents psychotiques, qui pourrait voir le « bad guy » du lot exploser dans des accès de rage à la sauvagerie exacerbée, Bloodline préfère orchestrer une sorte de vengeance sourde et insidieuse. Reposant sur une écriture intuitive, efficace et rythmée à la perfection, la série prend le temps de poser ses enjeux et de construire la psychologie de chacun de ses personnages. Chez les Rayburn, tout le monde joue un rôle. John, l’inspecteur de police, est un peu le gardien de l’ordre, Meg, l’avocate, évolue dans un calme feint, Kevin, le chien fou, galère, et les parents veillent au grain, tout en profitant du fruit de leur dur labeur. Au fil des épisodes, la géométrie de la famille varie dangereusement et le paradis exotique des Keys de se transformer en enfer caniculaire écrasé par le poids de révélations explosives aux conséquences dramatiques.
Magnifiquement incarné, Bloodline peut compter sur l’implication de ses comédiens. Kyle Chandler, solide acteur, trop souvent relégué au second plan, trouve une nouvelle occasion de laisser s’exprimer un talent et un charisme que les années rendent encore plus impressionnant, tandis qu’il parvient à imposer petit à petit une ambiguïté qui lui sied à merveille. Linda Cardellini, ex-star de Freaks and Geeks et d’Urgences, deux monuments de la télévision américaine, se taille aussi la part du lion, sans forcer, avec tout le naturel qui caractérise son jeu si sensitif. Même sentence pour Norbert Leo Butz, le moins connu du lot, qui fait par cela office de splendide révélation. Sissy Spacek, formidable, et l’impérial Sam Shepard venant couronner une distribution aux petits oignons, qui peut aussi compter sur une myriade de seconds rôles exploités avec une pertinence exemplaire, comme c’est le cas par exemple pour une Chloë Sevigny sulfureuse, mais plus touchante que prévue car symbolisant d’une manière particulièrement bien retranscrite la réflexion sur le passage du temps que dilue savamment la série sur la longueur. On y revient, mais difficile de ne pas citer à nouveau Ben Mendelshon, tant c’est peut-être lui qui impressionne le plus, en cela qu’il trouve ici ce qui restera à n’en pas douter l’un des plus grands rôles de sa carrière. En ayant le temps de travailler son personnage, ambiguë, malsain, mais pourtant attachant, l’acteur vu récemment dans The Place Beyond The Pines et Lost River, profite d’un scénario en or pour livrer une composition effrayante, toute en rage contenue (dans un premier temps). Au centre de cette première saison, Mendelsohn donne l’impression de ne rien calculer et avance à l’instinct. Monstre de charisme, il fédère tous les autres autour de sa folie, et crée le tourbillon dans lequel s’engouffrent et résonnent toutes les thématiques de Bloodline.
La famille, cette entité si souvent décortiquée dans le cinéma ou la télévision est particulièrement malmenée par les frères Kessler, qui en profitent pour étudier de près la mécanique du remord, celle de la rédemption, de l’amour fraternel, paternel et de l’accomplissement de soi indépendamment des réussites imputables aux aînés.
Mis en scène de main de maître par une poignée de réalisateurs sachant exploiter l’environnement unique et les thèmes du scénario, Bloodline brille également par sa magnifique photographie, jouant beaucoup sur une palette de couleurs riches, tranchant avec des ambiances nocturnes immersives et étouffantes.
Viscérale au possible Bloodline est une réussite implacable et indéniable. Elle réussit à fédérer autour d’une intrigue dont le principal mérite est d’arriver à gagner en puissance, sans jamais trébucher ni tomber dans des clichés opportunistes, grâce à de savants rebondissements, très bien amenés. À mi-chemin entre la tragédie pure, le drame familial et le thriller, cette production Netflix fait preuve d’une rythmique qui encourage une addiction propice au fameux binge watching (qui consiste à regarder le plus possible d’épisodes d’affilée) et donc au format caractérisant le plus la méthode du network américain. Bien sûr, logiquement, mais cela commence à devenir une habitude à la télévision américaine (et anglaise), c’est davantage à un long film que nous avons affaire, plutôt qu’à un feuilleton classique. Les moyens mis en œuvre, le prestige qui se dégage d’un casting véritablement impressionnant, les mouvements de caméra, la photographie, la musique et l’écriture d’une richesse absolue, placent d’emblée Bloodline parmi les plus franches réussites d’une fiction télévisuelle en perpétuelle recherche d’une exigence renouvelée pour notre plus grand plaisir.
Renouvelée, comme la série, qui va avoir droit à une seconde saison. Le dernier épisode va d’ailleurs dans ce sens, même si la résolution de l’intrigue maîtresse de ce premier acte fait qu’il se suffit à lui-même. Sans spoiler, ce dernier épisode et son ultime scène lancent un défi de taille aux showrunners pour la suite. Attendue pour début 2016, cette nouvelle salve d’épisode aura fort à faire pour maintenir le niveau, tant le spectacle est ici estomaquant à plus d’un titre. L’avenir nous dira ce qu’il en est, mais en l’état, Bloodline reste un monument du genre. Une série 5 étoiles à voir et à revoir, histoire d’en percer tous les secrets et d’en saisir toutes les nuances, appelée à rentrer au panthéon de la fiction télévisuelle.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Netflix