En 2007, un rapport publié par le Dr Rajendra Kumar Pachauri, ancien directeur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), révélait que l’industrie du bétail était responsable de 18 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre, soit plus que le secteur mondial des transports. Cette année-là, le GIEC reçut le Prix Nobel de la Paix, au côté d’Al Gore, l’ancien vice-président des Etats-Unis, pour leurs efforts conjoints dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le lien entre le fait de tuer des animaux et le changement climatique poussa l’équipe de Stella McCartney à revoir les ambitions éthiques de la marque. « On a fait le lien entre les droits des animaux et la question de la durabilité », explique Stephane Jaspar, le directeur marketing de l’entreprise, qui travaille avec Stella McCartney depuis plus de douze ans. « On s’est beaucoup penché sur cette question. Tous les magazines ont publié un numéro spécial sur l’écologie à cette époque. Ça a été un vrai tournant. »
« C’est intéressant de voir que tout est lié à l’alimentation, remarque Stella. La consommation d’animaux – qu’on les porte ou qu’on les mange – a des conséquences dévastatrices pour la planète. Chaque année on tue plus d’un milliard d’animaux pour de la nourriture, et la moitié n’est même pas mangée. De plus 50 millions d’animaux sont tués uniquement pour l’industrie de la mode. Si on a conscience du monde dans lequel on vit, alors c’est facile de faire le lien. On est obligé de faire ce lien », insiste-t-elle. « Le lien entre la nourriture, les maladies, l’environnement. C’est un problème global, c’est comme ça que je vois la vie, et c’est comme ça que je gère mon entreprise. »
Une stratégie qui entraîne des coûts supplémentaires
Cette prise en compte de la soutenabilité se reflète dans l’équipe d’experts que Stella McCartney a réunie autour d’elle. « L’humanité consomme les ressources de cinq planètes, mais nous n’en avons qu’une seule », explique Claire Bergkamp qui a rejoint l’entreprise en 2012 après avoir étudié la mode éthique et l’upcycling (surcyclage) au London College of Fashion. Nous cherchons à protéger notre planète, ce qui est la bonne chose à faire si l’on veut se développer sur le long terme. Cela concerne tous les secteurs de l’entreprise, tous les services. »
Claire Bergkamp a participé à l’élaboration de la charte écoresponsable de l’entreprise, visible sur le site Internet de la marque, et qui revendique une démarche éthique dans tous ses secteurs d’activités. Mais cette stratégie entraîne des coûts supplémentaires. « Cela peut revenir 70 % plus cher. On absorbe ces coûts dans notre marge. On n’augmente pas le prix de nos produits », assure Stella McCartney. « On élabore nos produits différemment, ça prend plus de temps. On n’utilise pas de colle de cheval, de cochon ni de poisson. C’est comme pour faire un paquet de céréales. Un sachet de biscuit classique vendu en grande surface coûte moins cher qu’un biscuit bio fait maison. »
Pour Frederick Lukoff, le PDG de l’entreprise, il y a d’autres manières de faire des profits : « Dans le monde de la mode, il y a beaucoup de façons de répartir ses postes de dépenses », ajoute celui qui a rejoint Stella McCartney il y a six ans après avoir travaillé chez Lanvin. « Certains vont organiser un grand défilé, ou utiliser plus de broderies, il y a un million de choses qu’on peut rajouter dans un produit. Mais ça a des conséquences sur les coûts. Nous, nous nous sommes imposé des choses, et nous ne faisons peut-être pas les mêmes choix que les autres. Mais ça s’équilibre. Cela fait partie intégrante de notre modèle économique, donc nous ne voyons pas cela comme une contrainte », affirme-t-il.
« La durabilité est dans notre ADN »
Cette démarche éthique et responsable est un marqueur fort de la marque même si Stella McCartney ne tenait pas initialement à communiquer dessus. « Au début, je ne voulais pas faire d’interviews sur ce sujet. Je ne voulais pas parler pendant des heures du cuir synthétique bio. Je donnais simplement des interviews sur la mode », se souvient-elle. « Mais c’est ce qui me différencie de plus en plus. Je n’ai pas besoin de parler d’une jolie couleur ou d’un look sur le podium. Nous avons quelque chose d’autre à proposer, et aujourd’hui c’est dans notre ADN, en tant que maison de couture et en tant qu’entreprise. »
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Un sac Stella McCartney.
Un sac Stella McCartney. Gonzalo Fuentes/Reuters
Ses valeurs fortes en ont fait une marque attirante pour les designers, créatifs et spécialistes qui partagent la vision de sa fondatrice sur la durabilité et le changement climatique. « Quand j’ai fait sa connaissance, elle m’a beaucoup impressionné », raconte Frederik Lukoff, PDG de la marque. « En dehors de son talent, qui était évident, elle m’est apparue comme une femme très motivée et très ambitieuse, elle voulait vraiment bâtir quelque chose. On sentait que ça l’animait complètement. Cela faisait partie d’elle, c’était ses motivations profondes. »
« Pour beaucoup d’entreprises, le côté écoresponsable est juste un argument supplémentaire en termes de marketing, de gestion des risques. Elles font ça pour ne pas avoir d’ennuis », explique Claire Bergkamp. « Mais quand on travaille pour Stella McCartney, cette démarche fait partie de l’entreprise, ça veut dire qu’on a un PDG qui s’en préoccupe, que Stella s’en préoccupe, que Stephane Jaspar s’en préoccupe – c’est quelque chose de rare. »
« Ils ont pu constater qu’une collection pouvait être épuisée en quelques secondes, même si les tee-shirts étaient bio »
Mais l’impact le plus notoire de l’engagement de Stella McCartney en faveur de la cause animale et d’une mode responsable est peut-être dans sa capacité à provoquer des changements au-delà de sa marque. Lors de ses collaborations avec certains des principaux acteurs de la cosmétique et de la mode, comme Kering, Adidas, L’Oréal, Procter & Gamble et H&M, la styliste est restée fidèle à ses valeurs. C’est en créant une collection pour H&M qu’elle dit avoir pris conscience de l’impact immédiat qu’elle pouvait avoir sur la responsabilité éthique de grandes entreprises.
« On a insisté sur des points précis. On a insisté sur des directives. On a insisté pour que ça soit bio et durable », martèle t-elle. « Je crois qu’ils n’avaient jamais connu cela donc cela les a marqués. Comme cette collaboration a été une réussite, cela leur a ouvert les yeux d’une belle manière, ils ont pu constater qu’une collection pouvait être épuisée en quelques secondes, même si les tee-shirts étaient bio. »
L’apprentissage n’est pas unilatéral pour autant. Grâce à son partenariat avec Adidas, Stella McCartney a eu accès à des investissements de la marque aux trois bandes dans la recherche et le développement de nouvelles matières et de technologies. « Les produits que je crée pour eux sont plus légers, plus isolants, plus élaborés. Quand on travaille pour une marque de sportswear de ce niveau-là, on se rend compte qu’il y a très peu d’acteurs et qu’ils s’affrontent tous sur le terrain technique », explique la styliste anglaise. « Et je voulais avoir accès à cette technologie. Aujourd’hui si on veut avoir une belle apparence, autant que ce soit de façon plus responsable. »
A cette aune, Stella McCartney a participé, en 2014, au lancement de Clevercare, le nouveau système d’étiquette de H&M, qui apprend aux consommateurs à entretenir leurs vêtements avec moins de lavages. Car selon H&M, plus de 30 % de l’empreinte carbone d’un vêtement est produite après sa vente, un chiffre qui pourrait être facilement réduit.
Une stratégie qui déteint sur le groupe Kering
Ultime vertu, les valeurs de Stella McCartney ont aussi influé sur Kering, son partenaire financier de longue date. D’un commun accord, elle a fixé des objectifs éthiques ambitieux en 2016 pour les achats du groupe. Et cette année, Kering va publier son premier compte de résultat environnemental. Il concerne toutes ses marques et prend en compte l’impact environnemental des différentes activités du groupe.
Bien qu’elle refuse de s’attribuer le mérite de cette nouvelle stratégie écoresponsable, la preuve qu’une marque de luxe éthique puisse être viable commercialement a forcément dû impressionner les dirigeants de Kering. Et ce qui semblait un concept idéaliste au début passe aujourd’hui pour une stratégie pragmatique.
Quand on évoque l’avenir de son engagement écoresponsable, la créatrice s’anime et nous fait remarquer que les goûts des consommateurs changent rapidement. « Ils sont de plus en plus informés sur les questions écologiques et aucun designer aujourd’hui ne peut penser que les femmes vont continuer à acheter les mêmes produits pourris. La prochaine génération n’en voudra pas. En tout cas je ne le crois pas. »
La conversation porte de nouveau sur le faux cuir idéal. « On a des défis à relever en termes de drapé, de texture. Quand je veux créer un sac souple et doux pour une saison, c’est difficile de retrouver la douceur du cuir. Mais un jour on y arrivera. »
Publié le: Dimanche 3 Mai 2015 - 01:00Source: lemonde