[Critique] LE VOYAGE DANS LA LUNE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Note:

Origine : France
Réalisateur : Georges Méliès
Distribution : Georges Méliès, Brunnet, Depierre, Farjaux, Fernand Kelm…
Genre : Science-Fiction
Date de sortie : 1er septembre 1902

Le Pitch :
Lors d’un congrès, un professeur fait part de son projet d’aller sur la Lune. Il explique alors à ses collègues qu’ il compte y parvenir via un obus propulsé par un canon géant et réussit en effet à s’y rendre. Sur la Lune, l’équipage découvre l’environnement et est fait prisonnier par un peuple autochtone, les Sélénites…

Film dans son intégralité :

Version colorisée, avec ajout d’une bande-son :

La Critique :
Nous sommes au tout début du XXème siècle. La toute première projection du cinématographe par les Frères Lumière a eu lieu il y a sept ans. À l’époque, les films dépassaient difficilement la durée de cinq minutes. Un magicien du nom de Georges Méliès, réalisateur d’une quantité pléthorique de films dont une saga sur l’affaire Dreyfus et plusieurs œuvres fantastiques, crée Le Voyage dans la Lune, soit l’adaptation de De la Terre à la Lune, de Jules Verne et des Premiers Hommes dans la Lune, de H.G. Wells. Sans le savoir, Méliès, en un quart d’heure, révolutionne le septième-art. Un quart d’heure, ce qui est énorme à l’époque.

Magicien, le cinéaste, premier réalisateur de science-fiction et de fantastique, est l’inventeur des effets-spéciaux, qu’il porte à un niveau de complexité jamais vu. On lui doit ainsi la surimpression, les fondus enchaînés, l’arrêt de caméra. On peut également voir dans Le Voyage dans la Lune de nombreux trompe-l’œil donnant une impression de trois dimensions. Chaque séquence du film mérite d’être analysée mais celle qui restera à jamais dans les mémoires, reste cette fameuse scène où l’obus qui transporte les passagers crève un œil de la Lune, incarnée par Méliès. Tout comme, plus tard, la scène des Temps Modernes de Chaplin (où il est coincé dans un engrenage), celle de la course poursuite dans La Mort aux Trousses d’Hitchcock ou de la douche dans Psychose du même réalisateur, cette scène du film de Méliès incarne le cinéma dans l’inconscient collectif (du moins celui de ceux qui aiment vraiment le cinéma). L’apport du film est considérable et emmènera de nombreux réalisateurs par la suite à réfléchir sur leur art. D.W. Griffith dit « devoir tout » à Méliès, qualifié par Chaplin « d’alchimiste de la lumière ». Spielberg, Burton, Jeunet, Gondry et d’autres sont fans du réalisateur, et pour certains, les effets-spéciaux bricolés dans leurs films sont des marques visibles de l’influence du travail de Méliès sur leur œuvre. Scorsese lui rend un vibrant hommage dans le film Hugo Cabret. Moulin Rouge de Luhrman, ainsi que les séries Les Simpson et Futurama de Matt Groening contiennent des clins d’œil au Voyage dans la Lune, duquel les clips de Heaven for Everyone de Queen par David Mallet, et de Tonight, Tonight des Smashing Pumpkins de Dayton et Farris (qui réaliseront Little Miss Sunshine) sont largement inspirés. Plusieurs générations de rêveurs ont été marqués comme jamais par ce court-métrage, véritable ovni du septième-art, qui a fait naître des vocations de décorateurs, superviseurs des effets-spéciaux ou encore de maquilleurs de cinéma. Pourtant, si le créateur de la Cinémathèque Française a sauvé une partie des films de Méliès et supervisé la restauration, si Le Voyage dans la Lune figure dans la Liste des œuvres représentatives du cinéma mondial, force est de constater que l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma n’a pas rendu un hommage digne de celui qui fut l’inventeur des effets-spéciaux. Jamais une catégorie « Meilleurs Effets Spéciaux » aux Césars et les effets-spéciaux sont souvent dénigrés par la horde de pseudo-intellos décisionnaires de ce que doit être le cinéma français n’ayant d’yeux que pour la Nouvelle Vague et son héritage, pour le drame et la comédie bourgeois. Il suffit de voir comment le cinéma de genre n’a pas la côte et d’ailleurs comment le cinéma de genre français a vingt ans de retard sur les autres nations, alors qu’en plus du cinéma fantastique et de science-fiction, nous avons inventé le cinéma d’animation avec un dessin-animé projeté en 1892 par Émile Reynaud, et que nous avons emmené l’humour noir au cinéma avec la série des Fantôches d’Emile Cohl.

En soi, porté par des effets complexes et extrêmement novateurs, Le Voyage dans la Lune est une succession de séquences cultes qu’on retrouvera dans une quantité pléthorique de films de SF. Un monument inoubliable et intemporel que tout amateur de cinéma se doit de regarder au moins une fois.

@ Nicolas Cambon