« Nous sommes les descendants de ceux qui pendant la seconde guerre mondiale ont laissé un sillage de destruction derrière eux, entre autres en Grèce, ce que, à notre grande honte, nous n’avons pas su pendant longtemps », a déclaré le président Gauck. « Il est juste qu’un pays aussi conscient de son histoire que le nôtre évalue quelles possibilités de réparation il peut y avoir », a-t-il ajouté, sans s’avancer sur un montant.
Ces déclarations marquent une rupture dans le débat sur les réparations vis-à-vis de la Grèce en Allemagne. Prononcées par le plus haut magistrat de la nation, dont les fonctions sont essentiellement honorifiques mais qui est très respecté en Allemagne notamment pour son travail sur le passé Est-allemand, elles donnent une légitimité forte aux revendications grecques jusqu’ici repoussées avec fermeté par Berlin. Athènes réclame la somme de 278,8 milliards d’euros de réparations, le sujet est devenu un point de discorde particulièrement brûlant entre les deux capitales.
« C’est stupide »
« La question des réparations est juridiquement et politiquement close », martèlent régulièrement les membres du gouvernement, dans un contexte de forte tension entre Athènes et Berlin sur la question de la dette grecque. « Une manœuvre de diversion bon marché », estime Gerda Hasselfeldt, de la CSU. « C’est stupide », a même lâché début avril le vice-chancelier, Sigmar Gabriel, pour qui on ne peut pas mêler la question des réparations et celle de la dette. Pour Berlin, la revendication des réparations a perdu sa légitimité au plus tard à la réunification, quand le traité de Moscou a réglé les affaires internationales de l’Allemagne unie.Mais plusieurs voix se sont élevées depuis mi-mars pour juger cette explication un peu courte. Des juristes du service scientifique du Bundestag interrogés par le Spiegel Online ont exprimé leurs doutes sur la solidité de l’argumentaire du gouvernement. Et plusieurs personnalités politiques ont appelé ouvertement à une réouverture du dossier. Annette Groth, députée du parti de gauche Die Linke qui soutient les revendications grecques depuis longtemps, défend ainsi le versement immédiat de 11 milliards d’euros à Athènes. « Je trouve juste la position du ministre des finances quand il propose que l’argent soit utilisé pour créer une banque d’investissement », a-t-elle déclaré.
Surprise à Athènes
Anton Hofreiter, chef du groupe parlementaire des Verts au Bundestag, juge pour sa part que « l’Allemagne ne peut pas se contenter de balayer d’un revers de main les revendications d’Athènes. Ce chapitre n’est conclu définitivement ni sur le plan moral ni sur le plan juridique ». Plusieurs membres du SPD estiment également nécessaire de faire un travail sur le passé. C’est l’opinion de Gesine Schwan, figure très respectée du parti et candidate deux fois à la présidence de la République, qui a déclaré mi-mars : « Psychologiquement, il est parfaitement compréhensible que la Grèce se demande aussi, dans la situation actuelle, si les Allemands se sont toujours comportés de façon loyale. »La question des réparations allemandes vis-à-vis de la Grèce comporte deux volets. Le premier porte sur un crédit forcé de 476 millions de reichsmarks que le régime d’Hitler a contracté auprès de la banque nationale grecque en 1942 et qui n’a jamais été remboursé. Selon les estimations, cette somme correspondrait aujourd’hui à 11 milliards d’euros. Le second volet concerne les réparations pour crimes de guerre. Le massacre de Distomo, équivalent d’Oradour-sur-Glane dans la mémoire grecque. Dans cette petite ville près de Delphes, 218 enfants, femmes et vieillards ont été tués en juin 1944.
En Grèce, la déclaration du président allemand a fait la « une » de tous les sites d’information vendredi soir. La surprise est de taille. Personne ne s’attendait à un tel soutien à un tel niveau de l’Etat. Le parti au pouvoir Syriza y voit une nouvelle confirmation de la légitimité de la demande de réparations. Lors de sa visite du village grec martyr de Liguiades en mars 2014, Joachim Gauck avait très officiellement demandé « pardon » aux familles des victimes pour le massacre le 3 octobre 1943 par les nazis de 92 habitants du village dont 34 enfants. Mais il avait refusé d’aborder la question des réparations de guerre, affirmant à l’époque qu’il « ne pouvait pas prendre une autre position que la position légale de l’Allemagne sur la question ».
Source : LeMonde