C'est une rencontre, avec un auteur, quand on le connaît, avec un titre, avec une couverture, avec les deux-trois premiers chapitres pour les lecteurs les plus consciencieux (dont je fais partie).
S'agissant de Monsieur K c'est bien ce dernier aspect qui a déclenché l'envie de poursuivre la lecture parce que je ne connaissais pas du tout Marc Michel-Amadry.
Je ne suis pas en train de dire que la qualité éditoriale n'est pas essentielle. Je voudrais juste témoigner que ce n'est pas ce qui déclenche l'acte de lire, du moins pour ce qui me concerne. Je me demande parfois si les éditeurs en ont parfaitement conscience, eux qui se polarisent sur le fonds plus que sur la forme. Je sais en tout cas que la question les taraude. Et qu'il est vrai que parfois certains détails peuvent jouer en défaveur.
Par exemple chez EHO la ( mauvaise) qualité du papier me rebute particulièrement et je dois me faire violence pour occulter la vision des caractères imprimés au verso de chaque page.
Chez de Borée c'est le poids du livre ( que je ne m'explique pas d'ailleurs) qui me freine au moment de boucler la valise des vacances. Pas idéal pour voyager.
Une attachée de presse, ne se rendant pas compte du jeu de mots qu'elle faisait, m'interrogeait récemment à ce propos en me demandant comment je procédais. Vous devez être surbookée, me disait-elle. Certes, mais comme dans les avions, il y a toujours une place réservée pour l'imprévu.
Revenons à Monsieur K, intelligemment soustitré Cas de conscience, subtil et judicieux jeu de mots. Le premier livre de Marc Michel-Amadry avait été best seller en Allemagne (Deux zèbres sur la 30e Rue, paru en 2012, et publié également aux Editions Héloïse d'Ormesson). Celui-ci en a aussi le potentiel mais aura-t-il sa chance dans le monde des critiques littéraires dont je sais qu'ils sont déjà polarisés sur la rentrée ... celle de septembre ?
Il est vrai que les blogueurs fonctionnent différemment. Considérés souvent et à juste titre comme des électrons libres nous avons le pouvoir de provoquer des étincelles. Et croyez moi, celui-ci le mérite. Il me plait de n'être pas un mouton broutant les pages des célébrités. J'aime m'écarter du troupeau en montant sur des prairies alpines. Et je me sens privilégiée d'avoir été invitée dans l'univers de Monsieur K qui m'en apprend autant sur le monde de l'art contemporain que sur la psychologie humaine.
L'auteur a fait le portrait magnifique de l'évolution d'un homme qui passe de la revanche à l'accomplissement. On oublie souvent qu'on est dans une œuvre de fiction, se laissant prendre au jeu et croyant avoir affaire à la biographie d'un grand collectionneur. Cela aurait pu être mièvre, intello, rebutant. Pas du tout. On est avec Viktor dans l'ascenseur. On attend le verdict dans le cabinet de l'oncologue. On se surprend à songer à remettre une montre à son poignet rien que pour apprécier si ce geste va modifier notre rapport au temps. On se sent dans la coulisse d'un événement important. Et surtout on a envie d'aller voir ou revoir tous ces tableaux dont il est question.
Monsieur K est un richissime collectionneur d'art français. Derrière la gloire, se cache un lourd passé familial. Son père, d'origine allemande et réfugié en France, a accumulé des toiles volées pendant la Seconde Guerre mondiale. À sa mort, elles ont toutes été saisies par la police, à l'exception d'un Renoir, dont la vente clandestine, vingt ans plus tard, assure à Viktor sa fortune. Aujourd'hui, il est atteint d'un cancer incurable. Cette condamnation l'incite à réparer les fautes commises. Il doit, coûte que coûte, racheter la toile de maître naguère cédée à la mafia japonaise. Monsieur K est le récit d'une quête de rédemption. Mais peut-on jamais réparer le passé ? S'inspirant de nombreuses affaires de biens spoliés à des familles juives, l'auteur, en fin connaisseur du milieu de l'art, déploie avec subtilité une intrigue captivante tout en dévoilant les arcanes des salles de vente et des marchands d'art.Ce roman est un des meilleurs que j'ai lus ces derniers temps. Pourtant je ne suis pas fan des histoires qui se déroulent pendant la guerre, qu'il s'agisse de la Grande comme de la Seconde.
Marc Michel-Amadry vit à Neuchâtel. Il a dirigé Sotheby's Suisse. Autant dire qu'il connait les lieux et les oeuvres dont il parle. Je n'ai pas eu l'audace de chercher à débusquer une erreur. Je parie que l'auteur s'est documenté sur le moindre détail. Tout respire l'authentique et ce cadre hyperréaliste permet de traiter la psychologie des personnages avec une efficacité accrue. J'ai souvent pensé à l'un ou l'autres des artistes cités pile au moment où ils apparaissaient dans le roman. Comme par exemple Damien Hirst que j'ai découvert il y a quelques mois, dans une exposition commune avec Philippe Pasqua.
La couverture elle même est d'une justesse sans égal. Ce tube cassé en deux comme on le ferait d'un message secret qui ne se lit que lorsque les deux personnages se rencontrent.
A mesure de la lecture, le sous-titre que je trouvais si intéressant me semblait refléter de moins en moins la situation. J'aurais préféré, mais on aurait perdu la force du jeu de mots, quelque chose comme Sans faux semblant ou Question de perspective, et pourquoi pas en mettant le mot au pluriel.
Il pourrait avoir un choc comparable à celui que les araignées monumentales de Louise Bourgeois ont provoqué à la fin des années 90 comme celle-ci, de 9 mètres d'envergure, qui campa dans le jardin des Tuileries jusqu'au 2 juin 2008.
Ce sont de telles confrontations qui ont le pouvoir de modifier notre regard habitué à des standards somme toute classiques.
Marc Michel-Amadry l'exprime parfaitement en expliquant (page 48) combien d'une part les événements de mai 68 ont modifié son point de vue sur les choses : L'impressionnisme qui, dans l'art, avait incarné l'ordre établi pendant longtemps ne pouvait plus être ma seule référence. Au contraire, je devais m'en distancier. Et d'autre part quel artiste (page 52) a suscité en lui une révélation à l'art contemporain avec Jackson Pollock travaillant à Autumn Rhythm, un tableau de 1950.
Sans manquer de respect aux anciens, il égratigne quelques idées reçues. Je partage l'avis de son amie (page 73) : le tableau de Leonard de Vinci ( la Joconde) m'apparut à moi aussi bien plus petit que je ne l'imaginais et sa protection par une vitre de sécurité nuit à l'émotion.
La construction du caractère de Viktor, victime de harcèlement à l'école (page 34) où le k de Viktor donnait lieu à pléthore de railleries du style K-lamité. Jusqu'à ce que l'enfant en fasse une force en décidant de ne plus se laisser atteindre. Je n'aurai plus jamais peur de rien ni de qui que ce soit, copiait il dans un cahier, comme s'il s'agissait d'une punition. Et cela a marché. C'est même devenu son armure. Le surnom devint nom.
Les relations père-fils et mère-fils nous tiennent en haleine jusqu'au bout et bien entendu on se passionne pour cette histoire d'amour qui se développe avec la mystérieuse correspondante qui surgit (page 28).
Monsieur K, de Marc Michel-Amadry, aux Editions Héloise d'Ormesson, en librairie le 30 avril