Tigre, tigre ! [Margaux Fragoso]

Publié le 01 mai 2015 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,
Dans Tigre, tigre !, Margaux Fragoso nous raconte ce qu'elle a vécu de ses sept ans jusqu'à ses vingt-deux ans : elle nous plonge dans l'enfer de la pédophilie.

Margaux a à peine sept ans lorsque son chemin croise celui de Peter à la piscine municipale. Et ce ne sont pas les cinquante ans de Peter qui effraient la narratrice ; au contraire, elle se joint naturellement au groupe qu'il forme avec les deux jeunes garçons qu'il accompagne à la piscine. Une après-midi de jeux commence alors, et le début d'une relation particulière entre Margaux et Peter.
Pendant 400 pages, Margaux Fragoso revient sur ces années de calvaire qu'elle a vécues et nous raconte l'évolution de cette relation et la façon dont elle s'est construite avec ou malgré ce fardeau. Bien plus qu'un simple exutoire pour l'auteur, ce livre est surtout l'occasion pour le lecteur de comprendre la torture psychologique et physique que Margaux a pu ressentir et comment tout cela a pu et peut arriver.
Les parents de Margaux sont loin d'être absents du livre. Paradoxalement et dans une certaine mesure, Margaux n'est pas vraiment une enfant livrée à elle-même : sa mère l'accompagne tout le temps (c'est elle qui l'emmène chez Peter) et son père est sur-protecteur et d'une intransigeance incroyable avec elle. Le problème est qu'aucun d'eux n'est capable de voir ce qui se passe sous leurs yeux : la mère de Margaux souffre d'une maladie mentale et son père ne se contente d'observer les choses en surface et d'imposer son autorité avec fermeté sans faire preuve d'une réelle attention. A de nombreuses reprises, l'auteur met en évidence le fait que ses parents sont conscients que le danger existe (viol, meurtres, etc.) tout en se félicitant de tenir leur fille éloignée de cela. Ils sont complètement aveugles à ce qui se passe autour d'eux.
«  Deux solides systèmes de fermeture protégeaient notre maison : un loquet à gros cylindre et groom à ressort, et un verrou Yale 3000 Residential. Papa roulait des mécaniques : il aimait à dire que si un cambrioleur, un violeur ou un tueur en série essayait de forcer la porte, ça ferait un tel raffut qu'il aurait le temps d'attraper son revolver, qu'il gardait toujours chargé. » p.183
Tristement, l'histoire de Margaux s'inscrit dans la continuité de celle de ses parents et de son bourreau, eux-mêmes abusés sexuellement pendant leur enfance. Si Margaux écrit ce livre, c'est d'ailleurs pour briser cette spirale et mettre fin à cet héritage, comme elle le précise à la fin du récit.

Impuissants, on assiste à l'évolution de la relation entre Peter et Margaux et on prend tout de suite conscience du caractère manipulateur et immature du bourreau. Même si j'étais consciente de la nature d'une relation pédophile, ça a été assez bouleversant de prendre conscience de la torture psychologique derrière tout ça et de la façon dont on peut abuser ainsi d'un enfant.
L'auteur nous décrit parfaitement l'état mental dans lequel elle est pendant cette période : l'inaptitude dont elle fait preuve pour les relations amicales et amoureuses, le stress qu'elle ressent à chaque instant, la méchanceté dont elle fait preuve, son désespoir. Pour survivre, c'est dans les histoires et dans la fiction qu'elle se réfugie. Son imagination devient un vrai moteur pour elle - à tel point qu'elle s'invente un personnage qui lui permet de se détacher de la Margaux brisée et abusée. On comprend alors que la création qui était pour elle un moyen de se protéger se cristallise dans l'écriture de son roman, Tigre, tigre ! qui devient alors un moyen de « régler ses comptes » avec son passé, d'enfin tourner la page.
« C'était comme s'il impliquait qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez moi : que j'étais fragile, en porcelaine, une poupée sans âme. Il me rappelait pourquoi je devais fuir. Je me souvenais avoir appris, à l'école, que certains esclaves affranchis, dans le Sud, n'avaient pas pu se résoudre à quitter leur maître. A mes yeux c'était la preuve qu'il était difficile de quitter ce à quoi on était habitué, quelque pénible que soit ce quotidien. Mais nous ne pouvions pas rester à Union City, ma mère et moi. Pourtant, mon esprit avait beau savoir ce que je devais faire, mon corps se refusait à coopérer. » p.335
La lecture de Tigre, tigre ! est absolument bouleversante et tant elle nous révèle les mécanismes ignobles induits par une relation pédophile. Ce témoignage, que l'on pourrait considérer comme « l'envers du décor » du Lolita de Nabokov, est à lire et à considérer comme une arme, un enseignement pour nous permettre de détecter ces situations et éviter qu'elles ne se produisent. Avez-vous lu ce roman ? Avez-vous l'habitude de lire des témoignages ? Si oui, quel autre livre me conseilleriez-vous ?

Par une belle journée d'été, Margaux Fragoso rencontre Peter Curran à la piscine de son quartier, et ils commencent à jouer. Elle a sept ans; il en a cinquante et un. Quand Peter l'invite chez lui avec sa mère, la petite fille découvre un paradis pour enfant composé d'animaux exotiques et de jeux. Peter endosse alors progressivement, insidieusement, le rôle d'ami, puis de père, et d'amant. Charmeur et manipulateur, Peter s'insinue dans tous les aspects de la vie de Margaux, et transforme l'enfant affectueuse et vive en une adolescente torturée.