La Fête du Travail a une connotation spéciale en France cette année, en raison des sommets historiques atteints par les chiffres du chômage :
[ Source : Le Point ]
C'est pourquoi, j'ai souhaité rappeler brièvement l'histoire de cette journée du 1er mai consacrée au travail, tant elle représente une lutte importante, que d'aucuns cherchent à faire oublier afin de déconstruire et précariser flexibiliser le droit du travail.
Tout d'abord, il est utile de rappeler que c'est le 30 avril 1947 que le gouvernement décida de faire du 1er mai un jour férié et payé, sans qu'il soit fait référence à une fête, ce qui signifie que l'appellation Fête du Travail n'est que coutumière ! Le 1er mai fut certes un jour désigné comme Fête du Travail et de la Concorde sociale, mais sous Vichy le 24 avril 1941...
Cette date du 1er mai s'inspire en fait des grèves et négociations du 1er mai 1886, qui débouchèrent sur une limitation de la journée de travail à huit heures aux États-Unis. C'est en 1889 que la deuxième Internationale socialiste réunie à Paris se donnera pour objectif la journée de huit heures, puisque jusque-là le temps de travail habituel était de dix à douze heures par jour. Et pour marquer cette revendication, il fut décidé d'organiser une grande manifestation à date fixe (le 1er mai...) dans le but de faire entendre la même revendication de réduction du temps de travail dans tous les pays !
C'est ainsi qu'est née la Journée internationale des travailleurs également appelée Fête des travailleurs, avec un premier défilé le 1er mai 1890, où les ouvriers firent grève et défilèrent avec le célèbre triangle rouge à la boutonnière qui symbolisait les 3 grands tiers de la journée : travail, sommeil, loisir. Pour l'anecdote, il faudra attendre le 23 avril 1919 pour que le Sénat français impose une limite de travail à 8 heures par jour...
Enfin, puisque nous sommes en si bon chemin semé d'embûches, regardons ce que l'histoire peut nous apprendre sur le traitement du chômage au XIXe siècle. Après la révolution de février 1848, trop souvent oubliée par les Français et dont la déflagration se fit pourtant sentir partout en Europe, le gouvernement provisoire de la IIe République créa les Ateliers nationaux dans l'idée de procurer aux chômeurs de Paris un petit revenu en contrepartie d'un travail. A ce moment on ne peut que faire le parallèle avec des considérations très actuelles...
Mais nous allons rapidement voir que l'expérience des Ateliers nationaux conduisit à un désastre politique et social. En effet, l'Assemblée nationale, forte d'une majorité de notables provinciaux très méfiants à l'endroit des ouvriers, décida que les Ateliers nationaux ne devaient se voir confier aucun travail susceptible de concurrencer une entreprise privée !
Ils devinrent donc de facto condamnés au supplice de Sisyphe (d'autant que le nombre de chômeurs qu'ils emploient augmente de façon vertigineuse) : abattre des arbres sains pour leur substituer de nouveaux arbres provenant des pépinières nationales, dépaver les rues pour ensuite les repaver à nouveau, etc.
Les Ateliers nationaux sont ainsi vus comme une poudrière d'ouvriers révolutionnaires et un gouffre économique par nombre de parlementaires, opposés à toute forme d'intervention de l'État dans le domaine économique et dans la régulation des relations patrons/salariés.
Surtout, rentiers et bourgeois de l'Assemblée se sentent offusqués de devoir entretenir avec l'argent public un nombre croissant de chômeurs employés par ce qu'ils surnomment désormais les "râteliers nationaux", considérant qu'une telle aide relève plutôt de la charité privée.
La Commission décide donc, le 20 juin 1848, la suppression des Ateliers nationaux, espérant au passage calmer les velléités révolutionnaires des ouvriers. 120 000 ouvriers furent dès lors licenciés par les Ateliers nationaux, ce qui déboucha sur de violentes émeutes de la faim que l'on appelle les journées de juin et une répression brutale.
L'histoire nous rappelle que la question du travail et de sa valeur a souvent été traitée de manière partisane par le pouvoir politique, afin de satisfaire aux intérêts d'une minorité de riches faiseurs... Trop souvent, les politiques évoquent d'ailleurs le chômage uniquement sous l'angle de son taux, ce qui permet de la sorte d'occulter à dessein toutes les questions de qualité de l'emploi et de déclassement professionnel.
Il faut en effet faire la différence entre travail et emploi, le premier n'étant que la déclinaison moderne du tripalium dont il est issu... et que l'on cherche à généraliser comme en témoignent les multiples attaques victorieuses contre le code du travail ! C'est du reste ce qu'explique David Graeber dans un article publié dans Strike Magazine, où il évoque la multiplication des bullshit jobs (que l'on peut traduire notamment par travail à la con, c'est-à-dire un travail vide de sens).
En définitive, lorsque François Rebsamen déclare que "l'on ne peut pas poser comme point de départ que le contrat de travail est une subordination", il témoigne sinon d'une volonté de déconstruire l'environnement juridique afin de transformer l'emploi en simple bullshit job, au moins d'une méconnaissance abyssale du droit du travail.