Bien entendu, le château royal de Blois mérite la visite - nôtre dernière remontait à 2012 - et tout particulièrement la vue d’ensemble de sa cour d’honneur : passé le porche de l’aile Louis XII et la grande salle des Etats (XIIIème siècle), la merveilleuse façade de l’aile François Ier et son escalier d’honneur à baies ouvertes, l’aile Gaston d’Orléans du plus pur classicisme, la terrasse dominant les toits d’ardoise et le fleuve …
Chaque génération – depuis le gothique tardif à l’harmonie chère à François Mansart – apporte son style, sans chercher la continuité. Et puis, brusquement, à l’heure de la Révolution Industrielle naissante, les Romantiques se tournent vers le passé. Le style « Troubadour » remporte un succès fou et la Renaissance « remastérisée » devient le must de l’époque. Les architectes, nourris à refus de références antiques et florentines, mêlent sans vergogne les styles d’antan et les techniques modernes. Les ébénistes s’en donnent à cœur joie pour sculpter des buffets « Henri II » que nous avons encore vus chez de vieilles personnes dans notre enfance …
Blois est un exemple particulièrement intéressant de cette évolution à rebours du goût des élites, vite adopté par la bourgeoisie triomphante. Le château figure sur la première liste des Monuments historiques dressée par Prosper Mérimée en 1840.
C’est Félix Duban (1798 – 1870) qui reçoit la commande de la restauration de l’aile François 1er. Il va s’inspirer de gravures de Du Cerceau et de dessins de Félibien, exploiter le peu de décors encore présents mais surtout il invente un décor intérieur très coloré, un style qui va faire florès. L’intérieur des galeries est en effet entièrement recréé, de même qu’à cette époque, la peinture historiciste est furieusement à la mode.
A Blois, noblesse oblige, une salle est entièrement consacrée à l’épisode sanglant de l’assassinat du Duc de Guise par la garde d’Henri III. Non seulement, il y a une réplique du tableau de Paul Delaroche peint en 1834, mais on voit une série de scènes semblables, avec toujours en point de mire, le « grand » Henri de Guise tout de satin blanc vêtu. Une mise en scène réécrite de façon politiquement correcte …
Duban – un des maîtres du courant Romantique en architecture avec Jacques Hittorf, Henri Labrouste et Eugène Viollet-le-Duc - ne verra pas l’achèvement de la décoration intérieure du château. Une seconde campagne de restauration sera confiée de1880 à 1913 à Anatole de Baudot, architecte utilisant les techniques du béton armé et des poutres métalliques (voir Saint-Jean Baptiste de Montmartre, une de mes églises préférées à Paris).
Avec le recul, on trouve finalement Félix Duban très moderne et précurseur des tendances de l’Art Nouveau avec ses enroulements de fleurs, ses séries de monogrammes omniprésents et ses à-plats de couleurs assombris ou dorés … Comme quoi, renouer avec le passé permet aussi de réinventer l’avenir. Mais à part les habitants de la rue Duban (Paris 16ème), qui se souvient de lui aujourd’hui ?