Vainqueur du Tour de France cycliste 1909, le jovial François Faber était avant la Grande Guerre un champion populaire. Grandi en banlieue parisienne, le « Géant de Colombes », généreux et bon vivant, avait opté pour la nationalité luxembourgeoise de son père, mais était considéré par le public comme un enfant du pays. Quand la guerre éclate pendant l’été 1914, il s’engage dans la Légion étrangère pour défendre la France, qui avait fait « sa fortune ». Un siècle après sa disparition, c’est en hommage à son parcours et à celui de tous ses frères d’armes qu’il nous raconte à sa manière ses derniers jours.
« 1er mai 1915, mais pas de fête du travail pour nous les poilus ! Bernique, pas de repos pour les biffins ! Et même si le voyage de Champagne en Artois s’est fait en camion, j’ai encore rudement mal aux arpions… Dame, j’en ai mis un coup aujourd’hui ! Les copains du 2e bâton et moi, on creuse pire que des taupes. Faut préparer les boyaux d’acheminement pour l’attaque dans le secteur de la ferme de Berthonval. Mais les tranchées et les pelletées de terre, ça me connaît. Faut pas en promettre à un ancien docker qu’a vidé des péniches en plein cagnard sur le port de Courbevoie ou monté des trottoirs de planches, l’eau glacée de la Seine jusqu'à la taille, pendant l’inondation de 1910 à Colombes ! Et puis j’préfère ça, être rincé et m’épuiser à la tâche. Ça évite de gamberger. Sinon, j’penserais trop à ma Nini, qui va bientôt nous donner un petit. J’aimerais tant pouvoir lui envoyer un p’tit brin de muguet. Ça porte bonheur y paraît. Nous aussi on aurait bien besoin de brins de muguet et pas qu’un peu, car y va faire mauvais temps dans le coin, c’est sûr… Mais faut pas penser à ça, le cafard, ça vous tue un poilu aussi sûrement que ces saloperies de frelons que les Fritz nous tirent dessus, bien planqués dans les tranchées et les casemates, creusées dans la craie, là haut, entre le bois de Berthonval et la Targette. Les « Ouvrages Blancs » qu’ils appellent ça les gradés. Bah, bon courage à ceux qui devront les en déloger les doryphores ! Ça pourrait bien être bibi et ses légionnaires… J’préfère pas y penser. Comme m’a écrit y’a pas longtemps dans une lettre mon manager, Alphonse Baugé : « Quand le cœur y est, les jambes suivent ! » Y’en a pas deux comme lui, c'brave Alphonse, pour regonfler le moral d’un champion qui flageole dans une échappée ou d'un poilu qu’a le mal du pays. Moi, j’en ai plein les bottes, j’vais m’pieuter. Enfin, me pieuter, façon de parler. Vous pouvez pas imaginer. Vaut mieux pas d’ailleurs. Allez, à la revoyure ! »