Nous vivons, dit-on, à l’époque de la démocratie d’opinion. Par les élections, mais aussi par les sondages et internet, l’opinion est un acteur majeur de notre vie politique. On dirait qu’elle dirige nos dirigeants, dicte nos goûts et influence nos choix. Faut-il s’en féliciter ou s’en inquiéter ?
Sans doute l’opinion vaut-elle mieux que la force. Solidaire de la liberté d’expression et de la possibilité de débattre de tout sujet, elle est un trait de la vie démocratique. Le citoyen peut exprimer son mécontentement, et peser sur les décisions publiques. Mais l’opinion peut aussi être manipulée, et fabriquée par les sondages. Étant anonyme, elle vient moins des individus qu’elle ne s’impose à eux.
Le problème est que l’opinion n’est ni le savoir, ni l’ignorance. Une opinion fausse est pire que l’ignorance, car elle se croit experte en se trompant, ce qui la rend doublement ignorante. Quant à l’opinion vraie, elle est certes au-dessus de l’ignorance, mais en-dessous du savoir. Platon l’appelle opinion droite : ni ignorance, car conforme à la vérité, ni savoir, car incapable de dire la raison de cette conformité.
Si je sais pour l’avoir appris d’un voyageur la route qui mène à un endroit, mon opinion est droite, et utile aux autres. Mais n’ayant jamais fait le trajet, je ne peux en être tout à fait certain ; on pourrait me faire hésiter et changer d’avis. Quant à celui dont l’opinion n’est pas droite et qui pense avoir deviné l’itinéraire, celui-ci égarera les autres et lui-même.
Droite ou non, l’opinion ne porte pas la marque de sa vérité et ne mérite donc pas une entière confiance. Le mieux est que l’opinion puisse avancer ses raisons et réfuter celles des autres. Démocratie d’argumentation.