Un étrange calme règne au pays de Valve, de Steam et des dragons, alors que l’introduction d’un système de paiement pour diverses modifications disponibles pour le jeu de rôle Skyrim a finalement été annulée, après une semaine de vindicte populaire.
Skyrim, le cinquième jeu de la série Elder Scrolls publié par Bethesda Softworks en 2011, a vu sa communauté sur PC croître et se développer sans cesse via les mods, ces modifications qu’il est possible d’ajouter à un jeu pour en modifier un ou plusieurs aspects. Si le phénomène n’est pas nouveau, l’apparition rapide de deux plateformes d’échange et d’installation de mods a largement contribué à la démocratisation du processus.
Grâce au Workshop de Steam et au site Nexus Mods, les joueurs peuvent disposer de modifications faciles à installer, à activer ou à mettre à jour. Des correctifs réglant des bogues à l’ajout de corps féminins plus voluptueux, en passant par des textures mieux détaillées ou encore des crabes géants munis de chapeaux hauts de forme et de monocles, tout est possible.
L’un des nombreux mods particulièrement loufoques de Skyrim.
«Nous allons retirer l’option de paiement sur le Workshop de Skyrim. Pour quiconque ayant déboursé de l’argent pour un mod, nous allons rembourser le montant complet. Nous avons parlé avec l’équipe de Bethesda, et ils sont d’accord», écrit Alden Kroll, un employé de Valve, dans un billet de blogue publié lundi après-midi sur le site de Steam.
Kroll poursuit en admettant que Valve avait agi «sans comprendre exactement ce que nous faisions», et que contrairement à d’autres changements apportés par le passé pour aider les créateurs de contenu, cette fois-ci, eh bien, ils s’étaient trompés. Et pas à peu près.
Tout travail mérite-t-il salaire?
Qualifier de «violente» la réaction de la très vaste majorité de la communauté relèverait de l’euphémisme.
Lors de l’annonce des nouvelles fonctionnalités payantes du Workshop, Valve, Bethesda et certains créateurs de mods disaient estimer qu’il est tout à fait logique de permettre à ceux qui investissent temps et parfois argent pour améliorer un jeu de toucher un certain salaire. On avançait également que les joueurs considèrent déjà comme logique le fait de devoir débourser des deniers pour obtenir du contenu de qualité.
Qualifier de «violente» la réaction de la très vaste majorité de la communauté relèverait de l’euphémisme. Joueurs, créateurs de mods, développeurs de jeux vidéo, presque tous sont montés aux barricades pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une tentative éhontée de monétiser ce qui était sans doute le dernier retranchement de l’esprit de libre création et de partage dans l’industrie. Ulcérés avec raison par la multiplication des DLC à précommander et autres contenus supplémentaires faisant grimper la facture d’un jeu souvent incomplet ou rempli de bogues à son lancement, les tenants de la gratuité des mods ont lancé pendant une semaine des menaces de boycottage de Steam et de Valve dans son ensemble.
Gabe Newell, le cofondateur de Valve, tel que (normalement) perçu par la communauté de joueurs sur Reddit.
Sur la communauté PC Master Race de Reddit, où Gabe Newell (cofondateur de Valve) est généralement présenté comme un «sauveur» aux pouvoirs miraculeux, dispensant bons jeux et rabais lors des ventes pluriannuelles de Steam, on assiste au déboulonnement d’une idole. Mèmes, articles, discussions, montages photographiques… tout était bon pour casser du sucre sur le dos de Newell et de son entreprise. Certains internautes ont même proposé de passer outre Steam et de développer leur propre plateforme de jeu en ligne, afin de gérer les bibliothèques de titres et les mods et de ne plus devoir passer par la création de Valve.
Le mal-être de l’industrie
Le recours quasi maladif aux DLC et autres contenus «exclusifs», trop souvent annoncés avant même la sortie des jeux, témoigne du cancer qui ronge l’industrie des jeux vidéo.
Les joueurs ont-ils raison de se révolter? Absolument. Le recours quasi maladif aux DLC et autres contenus «exclusifs», trop souvent annoncés avant même la sortie des jeux, témoigne du cancer qui ronge l’industrie des jeux vidéo.
Bien sûr, ce ne sont pas tous les studios qui cèdent à ce vampirisme économique, mais lorsque des DLC sont à vendre avant que le titre soit sur les tablettes, il ne s’agit plus de travail additionnel effectué par les développeurs. Il s’agit d’un morcellement du contenu du jeu original pour en retirer toujours plus d’argent, quitte à offrir un produit de base décevant.
Doit-on rappeler qu’à la sortie de The Sims 4, plusieurs aspects du jeu présents dans le troisième opus avaient disparu, y compris la possibilité d’acheter une piscine? Qu’en est-il d’Evolve, pour qui des DLC ont été annoncés avant même que l’on ait droit à une première bande-annonce?
Pour Skyrim et son Workshop, l’affront était encore plus important. Pourquoi? Parce que Valve et Bethesda devaient récupérer 75% des revenus des ventes de mods payants. Leur raisonnement? Les créateurs de mods s’appuient sur la plateforme Steam et le jeu pour produire du contenu qu’ils vont ensuite vendre.
Mais au-delà des réactions courroucées des joueurs et des acteurs de l’industrie, la tentative de Valve et Bethesda de rentabiliser la création de mods a coupé court à des démarches de mise en vente de contenu qui auraient fort bien pu s’avérer utiles et efficaces. Le développeur du jeu indépendant Starbound a ainsi révélé sur Twitter qu’il envisageait d’introduire lui aussi un marché pour les mods, mais où les créateurs desdits mods auraient obtenu de 50% à 60% des revenus, plutôt que les 25% annoncés pour Skyrim.
Se tirer dans le pied
Désormais, toute discussion entourant la rémunération des créateurs de mods provoquera à coup sûr une réaction épidermique des joueurs, ceux-ci ayant été échaudés par la décision maladroite et sans appel de Valve.
L’entreprise aurait pourtant dû s’inspirer de sa propre histoire en la matière; comme l’écrit Kroll sur son billet, plusieurs mods particulièrement populaires sont par la suite devenus des produits à part entière, comme Dota, Counter-Strike, DayZ ou encore Killing Floor. Les deux premiers, des jeux de Valve, sont aujourd’hui parmi les jeux les plus populaires de la plateforme Steam, aux côtés de Team Fortress 2, qui a lui aussi débuté son existence sous la forme d’un mod.
«Nous avons sous-estimé les différences entre nos précédents modèles de partage des revenus, et l’ajout de mods payants au Workshop de Skyrim. Nous comprenons assez bien les communautés de nos propres jeux, mais s’inviter dans une communauté de créateurs de mods vieille de plusieurs années, chez Skyrim, n’était probablement pas le meilleur endroit pour entamer nos démarches», ajoute-t-il.
Reste à voir si Steam et Valve pourront redorer leur image, ou s’il s’agissait de la goutte faisant déborder le vase pour les plus ardents partisans de Gabe Newell. Comme le suggérait l’un des membres de PC Master Race, Valve pourrait toujours se racheter en sortant (enfin) Half-Life 3…