Notre vie en collectivité repose en grande partie sur un concept important et malheureusement de plus en plus abstrait : la responsabilité individuelle.
Le Larousse définit la responsabilité de la façon suivante :
- Obligation ou nécessité morale de répondre, de se porter garant de ses actions ou de celles des autres.
- Fonction, position qui donne des pouvoirs de décision, mais implique que l’on en rende compte (surtout pluriel) : Avoir des responsabilités.
La notion de responsabilité implique donc le fait de se porter garant de ses propres actions et, dans le cas d’une fonction, le fait d’en rendre compte devant la collectivité, publique ou privée.
A quelques exceptions près (les personnes atteintes de démence ou de sénilité et les présidents de la république en résumé), toute personne, physique ou morale, est responsable en France de ses actes et en répond devant la société au travers de la justice, qui déterminera le cas échéant s’il y a infraction à une règle et donc culpabilité.
Or, j’ai le sentiment depuis plusieurs années que la notion de culpabilité a pris le pas sur celle de responsabilité et que cela pose un problème de fond à notre société.
Sans faire de sémantique, ces deux notions, qui peuvent sembler si proches, ont à mes yeux une différence majeure : la culpabilité présente, en plus du sens moral de la responsabilité, le sens juridique de l’infraction.
A titre individuelle, nous avons tous une tendance, assez naturelle, à nous soustraire de nos responsabilités et à nous en remettre à l’arbitrage théoriquement rationnel de la justice. Il semble beaucoup plus confortable de vivre dans une société qui nous déresponsabilisera en règlementant à tout va. Mais c’est un leurre. Car nous faisons ainsi disparaître la responsabilité individuelle. Et si celle-ci disparaît, nous ne pourrons plus rien attendre des autres, concitoyens ou dirigeants politiques et économiques.
Ainsi, que se passe-t-il s’il m’arrive un accident de ski grave lors d’un hors-piste, que ma tête heurte un rocher et mon casque se brise sur celui-ci, entraînant des séquelles dramatiques ? Nous allons avoir le réflexe de chercher s’il n’y a pas un responsable à tout cela : fabriquant de ski, fabriquant du casque, maire de la station de ski, société d’exploitation des pistes, prévisions météorologiques…
Ce faisant, ce n’est pas un responsable que nous chercherons mais un coupable. Car le responsable, c’est le skieur qui s’est lancé dans cette aventure hasardeuse et risquée.
Il en va de même des personnes au pouvoir (politique ou économique) : Que se passe-t-il si un décideur politique a eu l’indélicatesse de mettre en place, par calcul politique et électoraliste, des mesures aux conséquences désastreuses pour la société mais n’a enfreint aucune loi lors de son mandat ?
Notre mode de fonctionnement actuel nous empêchera de mettre en cause ce dirigeant, qui, lui-même pourrait se sentir légitime à être exempt de toute remise en cause, car seule la reconnaissance de sa culpabilité par la justice ferait foi de sa mauvaise action. Et pourtant !
Le débat au sein de la droite sur le devoir d’inventaire des actions de Nicolas Sarkozy lors de son mandat a disparu avec le retour en politique de ce dernier. C’est dommage. Car ce débat m’intéressait au plus haut point : Quels arguments étaient assez forts pour justifier de ne pas rendre compte devant le peuple des décisions prises par ce dirigeant et donc ainsi le soustraire à ses responsabilités ? Le fait même de se poser la question montre à quel point nos dirigeants politiques ont perdu le sens des responsabilités.
L’attitude si critiquée de la classe politique actuelle, celle des médias mais aussi celle de nous autres, simples citoyens (en voiture, dans les files d’attentes, face à un créancier ou vis-à-vis de nos proches), est la résultante de cette confusion entre responsabilité et culpabilité.
Pour pouvoir faire revenir le sens des responsabilités à nos hommes politiques, il manque trois ingrédients :
- La mémoire des décisions prises par les dirigeants : ce serait le rôle d’un bilan de fin d’exercice pour chaque responsable politique en fin d’exercice
- Un contre-pouvoir : pour analyser objectivement les résultats factuels obtenus par les mesures
- Un tout petit peu d’honnêteté intellectuelle : pour admettre le bon et le mauvais des décisions prises
Ce bilan devrait être présenté à chaque fois qu’un postulant brigue un poste à responsabilités.