LITTERATURE: Au bout de la corde, la vie, la mort (2015), Eros & Thanatos

Par Bullesdeculture @bullesdeculture

Par/by Marie-Laure S.
Rédactrice/Editor


Stefan Cieslar, jeune alpiniste français d’origine polonaise et guide de haute montagne, est décédé accidentellement en octobre 2006 dans une avalanche sur les pentes de l’Himalaya. Avec Au bout de la corde, la vie, la mort, il laisse une série de nouvelles relatant ses expéditions, riches de rencontres et d’expériences sur les sommets montagneux, du Mont Blanc au continent sud-américain.
Stefan Cieslar, a young French climber from Poland and mountain guide, died accidentally in October, 2006 in an avalanche on the slopes of Himalaya. With Au bout de la corde, la vie, la mort, he left a series of short stories about his expeditions, full of encounters and experiences on mountain summits, from the Mont Blanc to the South American Continent. More in English >> (Translation in progress, come bubble later)
Synopsis : Stefan Cieslar partage avec son lecteur son expérience d’alpiniste sur le massif des Écrins, le Mont-Blanc, dans les calanques de Marseille, et il nous entraîne jusqu'en Argentine ou en Bosnie-Herzégovine. Il raconte les difficultés rencontrées au cours de chaque escalade, l’enthousiasme de tenter une aventure nouvelle sur des voies qu’il n’a jamais explorées, les liens pas toujours simples ou exempts d’ambiguïté, selon son propre terme, qui se forment avec des camarades de cordée…

© D.R.

On pourrait penser que nous allons lire par moment un vrai récit de voyage. Ce n’est pourtant pas l’exotisme qui prime dans le récit que Stefan fait de ses expéditions dans ces contrées lointaines, mais plutôt le regard de l’alpiniste face à la difficulté et à la particularité de chaque paroi, avec ses fissures, ses aplombs....
Les explications et les termes techniques sont bien détaillés et répondront aux attentes des spécialistes : notons d’ailleurs que quelques topos de voies ouvertes par Stefan Cieslar sont donnés en annexes.
Néanmoins, c’est avant tout une aventure humaine qui nous est racontée. Le grimpeur est seul avec ses pensées, qu’il doit parfois affronter lorsqu’elles sont inutilement pessimistes - l’inconnu mutique qui l’accompagne pour atteindre un sommet de 5000 mètres dans les Andes ne penserait-il pas à le précipiter dans le vide ? - alors que d’autres, fulgurantes, sont nécessaires pour éviter le danger lorsqu’il s’agit d’une avalanche ou d’une chute de pierres.
À ces moments de doute, inévitables dans la solitude et la rencontre avec soi-même - selon une parabole indienne que Stefan rapporte, « si les hommes grimpent sur les plus hauts sommets, (…) c’est parce qu’ils cherchent quelque chose qui se cache au fond d’eux-mêmes » - s’oppose le sentiment de communion qui unit le grimpeur à la montagne : « On ne ferait pas autant de sacrifices pour la montagne s’il n’y avait ces rares moments d’osmose, détachés de tout, sans pensées pesantes, sans épreuves insurmontables, avec juste la communion entre la terre et la chair, et où la force du paysage se manifeste dans l’effort ressenti ».

© D.R.

Dans la montagne pleine de majesté, le grimpeur sait parfaitement qu’une erreur peut coûter très cher et entraîner la mort. Or, n’est-ce pas aussi cette expérience extrême que redoutent les alpinistes, comme René, qui ne sait pas s’il est « attiré ou terrorisé » et n’en finit pas de tomber dans une chute de vingt mètres sous les yeux de ses camarades de cordée impuissants ?
La mort est toujours une possibilité, présente « symboliquement, comme dans un jeu de l’oie où il faut éviter les cases piège ». D’ailleurs, la mort s’invite souvent, et pas seulement sur la paroi : il est aussi question de guerre des Balkans dans l’une des nouvelles. N'est-ce pas d'ailleurs le point commun de plusieurs de ces récits ?
Paradoxalement, cette ombre, qui parfois frôle les corps des alpinistes, sous l’apparence neutre du phénomène naturelle de l’érosion, coexiste avec la vie, le sentiment tout puissant de la vie, d’être soi enfin, libre : « À cet instant je suis né avec la peur de mourir, car au moment où le rocher est passé, j’ai su que la vie valait d’être vécue, cent millions de fois ».
Enfin, dans la deuxième moitié de son livre, Stefan Cieslar quitte le domaine strictement autobiographique pour raconter l’histoire distincte de Vinko et de Jean-François. On entre dans l’intimité complexe de ces deux-là qu’il a connus : des vies difficiles - il est question de la guerre des Balkans -, avec leur part de lumière et d’amour aussi. On a presque alors l’impression d’être plongé dans un roman.
Pour conclure, Au bout de la corde, la vie, la mort mérite d’être lu, pas seulement par les amateurs et professionnels de la montagne. Ce livre, qui n’est pas, rappelons-le, une fiction, nous montre que dans cet univers exigeant, les mensonges ne tiennent plus : chacun, face à lui-même, est acculé à vivre intensément et à se coltiner sans fard la peur.
Ce faisant, il embrasse la totalité de l’expérience humaine, qui, on l’oublie parfois en repoussant cette perspective aux calendes grecques, inclut toujours la possibilité de la mort.
Belle leçon de réalisme !

 En savoir plus : 
- http://revenir-du-nepal.over-blog.org/article-4598089.html (biographie de Stefan Cieslar publié par le Comité de soutien aux alpinistes grenoblois et un lien vers un album photo)
- http://montagne.glenatlivres.com/livre/au-bout-de-la-corde-la-vie-la-mort-9782344006108.htm (site officiel de l’éditeur)
- Au bout de la corde, la vie, la mort, Stefan Cieslar, février 2015, Éditions Glénat, Collection Hommes et montagnes, 184 pages (accompagnées d’un cahier de photographies au centre de l’ouvrage), 15,95 €