Le Conservatoire du littoral engage une opération d’expropriation pour mieux protéger les lieux et organiser l’accueil
C'est un vendredi de la fin août. Très tôt, vers 6 heures, la nuit se dépêche, de peur de croiser le jour. Sur la crête de la dune du Pilat, Mathieu et David arrivent de Chartres et s'endorment. Sylvéric et Carine disent adieu à l'Atlantique en se serrant fort. Et Brigitte guette le soleil. Tournant le dos à la mer sombre qu'échancre le banc d'Arguin, regardant l'océan de pins. « C'est un lieu exceptionnel, un paysage extrême, excessif, cette masse de sable un peu absurde entre la forêt et la mer. C'est tellement pur. »La dune est une « expérience » et chacun peut la vivre comme il veut, tant qu'il veut, tous les jours, quelle que soit l'heure, et ce pour trois fois rien. Ce matin d'août, Brigitte ne sait pas qu'elle n'est pas chez elle, qu'elle est, en fait, chez quelqu'un. Ce n'est pas un bien public : 65 % de ce monument de sable sont possédés par des privés. Et, chaque année, 1,9 million de personnes s'y baladent sans le savoir. Il n'y a ni clôture ni haie. La dune est à tout le monde, mais elle appartient à certains.
150 propriétaires concernés
Autant de monde sur un espace en partie privé pose des tas de problèmes. Voilà pourquoi le Conservatoire du littoral a lancé, pour le compte du Syndicat mixte de la dune du Pilat qui gère le site, une opération d'acquisition et d'expropriation sur un périmètre d'environ 400 hectares. 150 propriétaires privés, répartis sur 250 parcelles couvrant 269 hectares (dont 168 de forêt et 101 de dune), sont concernés. La maîtrise foncière serait le moyen de mieux contrôler le site afin de mieux le protéger et de mieux y organiser l'accueil des visiteurs. L'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique de la démarche du Conservatoire débute demain."Avant, le syndicat mixte devait demander au propriétaire l'autorisation d'installer un escalier"Tout ça peut sembler un peu abstrait, alors donnons un exemple. Jusqu'en 2013, le Syndicat mixte de la dune du Pilat devait demander au propriétaire de la parcelle située au bout du parking, dite la Palombière, l'autorisation d'y installer l'escalier ! « Oui, nous étions sur une propriété privée, confirme Michel Daverat, le président du syndicat et élu régional d'Europe Écologie-Les Verts. Je devais chaque année faire un courrier. Et certaines fois, c'était refusé, ce qui nous entraînait dans d'interminables discussions avec les propriétaires. » En 2012, le Conservatoire a acheté la parcelle.Un autre exemple ? Le parking de la dune n'est pas un bien public. Il appartient à une indivision familiale, et le syndicat mixte en dispose via un bail emphytéotique. « Et nous leur payons tous les ans 130 000 euros, conclut Michel Daverat. Cet argent pourrait servir à autre chose, non ? » Une négociation est en cours avec l'indivision pour l'acquisition de ce terrain. Le syndicat rachète les parties bâties, et le Conservatoire, les parties naturelles et ses abords.La démarche qui s'engage aujourd'hui vient de très loin. La dune a été classée en 1943, sous Pétain. En 1994, le classement a été étendu sur 6 300 hectares, incluant la forêt usagère de La Teste-de-Buch. « Ce qui a mis au placard toutes les velléités des propriétaires », dixit Michel Daverat. Plus personne n'y construira.5,5 millions d'euros
Dans les années 1980, l'État a voulu imposer une gestion publique sur le site via une opération Grand Site. Il fallait surtout réguler la présence des commerçants au pied de la dune et organiser l'accueil des visiteurs. Des discussions ont permis d'y arriver sans toutefois espérer une maîtrise foncière du site, « par manque de volonté politique » dixit Michel Daverat.Une deuxième opération Grand Site est à l'œuvre aujourd'hui pour obtenir définitivement cette maîtrise foncière et ainsi intégrer le réseau des Grands Sites de France. Le Conservatoire a provisionné 5,5 millions d'euros pour ces acquisitions. Des négociations à l'amiable sont en cours. Certaines ventes ont déjà été signées, comme pour les propriétés de la famille Daney, mi-avril.Tout n'est pas acheté dans le périmètre. Les cinq campings situés au pied de la dune ne sont pas concernés dans la partie déjà aménagée. « Certains d'entre eux possèdent des parcelles non aménagées qui ne seront jamais aménageables, explique Guillemette Rolland, la déléguée régionale du Conservatoire du littoral. Ces parcelles-ci sont en effet incluses dans l'expropriation, mais pas le reste. Nous ne touchons pas à l'existant. »Un lieu inaliénable
« Le terme d'expropriation peut paraître dur, mais il désigne en fait une procédure administrative, assure la déléguée. Chaque propriété sera examinée au cas par cas et évaluée individuellement par France Domaines. Enfin, nous sommes aussi là pour écouter les propriétaires. Cette opération est l'occasion de reconstituer l'histoire de la dune. »Une fois l'acquisition réalisée par le Conservatoire, la parcelle entre dans une nouvelle dimension : elle devient un bien « inaliénable », un bien public qui ne sera plus jamais vendu, qui restera pour toujours naturel et inconstructible.« Peu de sites font autant d'effet que la dune, assure Guillemette Rolland. Regardez la réaction des gens une fois en haut de l'escalier. Ils voient Arguin, la pointe du Ferret, la forêt et tout ce sable, vierge. L'acheter permettra de le protéger pour que tous puissent vivre cette incroyable expérience esthétique. »168 millions d’euros de retombées par anLa dune du Pilat, site le plus visité d’Aquitaine, génère d’importantes retombées économiques sur le basin d’Arcachon et même jusqu’à Bordeaux.Une enquête sur la fréquentation du site et une autre sur les retombées socio-économiques, réalisées durant dix-huit mois par NXA, Deloitte et l’agence Scarabée, à la demande du Syndicat mixte de la dune du Pilat, ont révélé, à l’automne dernier, que la dune recevait 1,9 million de visiteurs par an. Même si ce sont souvent les mêmes, puisqu’une personne sur quatre qui s’y rend reviendra à plus de cinq reprises. Mais, chaque fois, elle rapporte à l’économie locale.Ces visiteurs sont plutôt des cadres supérieurs (22 %) de 44 ans de moyenne d’âge, ils viennent souvent en famille ou en groupe et sont à l’origine de 61 % des richesses injectées dans l’économie locale. Aux 4 millions de nuitées, dont plus de la moitié dans le proche périmètre, on peut, en effet, ajouter les frais de restauration et de dépenses courantes.Par ailleurs, l’étude estime à 168 millions d’euros le montant des retombées indirectes de la dune du Pilat sur tout le secteur du bassin d’Arcachon. À comparer avec les 311 millions de l’économie balnéaire et les 35 millions de la filière ostréicole.
Un tas d’or sur un tas de sable.Publié le 26/04/2015 par David Patsourishttp://www.sudouest.fr/2015/04/26/pourquoi-l-etat-veut-ac-heter-la-dune-du-pilat-1903874-706.php